Les meilleures chansons des années 60 et leur histoire

Daniel Ichbiah

Années 60 : les 20 chansons qui ont marqué les sixties

Il n'est pas facile de désigner les meilleures chansons d'une décennie qui a probablement été la plus prolifique en matière de chefs d'oeuvres musicaux. Dans ce classement, j'ai tenté d'indiquer les chansons qui, au-delà de leur succès planétaires, avaient été les plus marquantes au niveau de l'innovation, de l'originalité ou de la force du discours.

Un peu plus bas, je vous apporte diverses informations complémentaires sur ces tubes entrés dans l'Histoire. Il se trouve que je suis auteur d'un grand nombre de biographies et essais sur l'univers du rock et de la chanson. Ce sont donc des extraits de divers livres qui ont été reproduits plus bas.


1.
Satisfaction
 
The Rolling Stones

2.
Like a Rolling Stone
 
Bob Dylan

3.
A Day in the Life
 
The Beatles

4.
Good Vibrations
 
The Beach Boys

5.
Hey Jude
 
The Beatles


6.
Eleanor Rigby
 
The Beatles

7.
Light my fire
 
The Doors

8.
A Whiter Shade of Pale
 
Procol Harum

9.
Proud Mary
 
Creedence Clearwater Revical

10.
The Dock of the Bay
 
Otis Redding


11.
Sunny Afternoon
 
The Kinks

12.
Sounds of silence
 
Simon & Garfunkel

13.
Yesterday
 
The Beatles

14.
Paint it Black
 
The Rolling Stones

15.
On the road again
 
Canned Heat


16.
God only knows
 
The Beach Boys

17.
Blowin' in the wind
 
Bob Dylan

18.
House of the rising sun
 
The Animals

19.
Macarthur Park
 
Richard Harris

20.
Strawberry Fields Forever
 
The Beatles



Meilleures chansons des années 60 - leur histoire

Voici l'histoire de certaines des chansons évoquées plus haut

1. Satisfaction


satisfaction

L'année 1965 a été l'une des plus riches de l'histoire du rock en terme de morceaux entrés dans la légende. C'est durant cette année que sont apparus des titres comme 'Like a Rolling Stone' (Bob Dylan), 'Yesterday' (les Beatles), 'My generation' (les Who), 'Mr Tambourine man' (les Byrds - une reprise de Dylan), 'I got you babe' (Sonny & Cher), 'Day Tripper' (les Beatles), 'Sounds of Silence' (Simon et Garfunkel), 'Barbara Ann' (les Beach Boys)… Et c'est durant cette même année que les Stones ont sorti l'hymne rock qu'est 'Satisfaction'.

En 1989, les lecteurs du magazine Rolling Stone ont élu 'Satisfaction' meilleure de chanson de tous les temps. En l'an 2000, les spectateurs de la chaîne VH1 l'ont désignée meilleure chanson rock de l'Histoire. Sur une compétition similaire organisée par MTV et Rolling Stone la même année, elle est arrivée n°2 derrière 'Yesterday' des Beatles. Plus tard, en 2004, le magazine Rolling Stone l'a placée à la position n°2 des grandes chansons rock derrière 'Like a Rolling Stone' ! Ce qui ressort dans ces divers classements est tout de même clair : les trois chansons évoquées sont toutes nées en 1965 ! Avec le recul, il semble que cette année ait été bien particulière.

Les révolutions sonores, le travail sur les orchestrations vont bientôt transformer le rock, ouvrant des horizons inattendus, qui va accueillir une plus grande variété instrumentale, et s'affranchir du format classique des chansons. 1965 est donc une année charnière, où l'on perçoit les prémisses de cette évolution. 'Like a Rolling Stone' de Dylan s'étale sur plus de 6 minutes, 'Satisfaction' fait la part belle à un effet de guitare, 'Mr Tambourine Man' est une tentative d'électrifier la folk music… Quelque chose est dans l'air et ces chansons apparaissent comme des signes avant coureurs de ce qui va suivre. En mai 1965, les Rolling Stones sillonnent les États-Unis à l'occasion de leur troisième tournée américaine. Lors de la nuit du 6 au 7 mai 1965, alors qu'il est endormi dans un hôtel, le Fort Harrison de Clearwater (Floride), Keith Richards entend un riff de guitare dans son sommeil.

Afin de ne jamais perdre les idées musicales pouvant surgir de manière fugitive, il a pris soin d'installer un petit magnétophone à proximité de son lit. Richards se lève pour enregistrer ce thème, assorti de la phrase " I can't get no satisfaction " et d'un couplet mélodique. Il se rendort aussitôt.

Au petit matin, le guitariste se souvient d'avoir noté quelque chose pendant la nuit et rembobine la bande. À force de tâtonner, il parvient à réécouter 30 secondes de " Satisfaction " dans une version somnolente assortie d'un peu de guitare, suivi par 45 minutes de ronflements !

Mick Jagger entend Keith égrener les accords de 'Satisfaction' alors qu'ils séjournent dans le Fort Harrison :

" Il avait commencé à chanter, il n'avait que le début et de la façon dont il la jouait sur une guitare acoustique, cela sonnait comme du country à mes oreilles, pas comme du rock. "

Assis sur le bord de la piscine, Jagger rédige les couplets de 'Satisfaction'. Sans le réaliser pleinement, il développe une écriture 'rock' qui s'inscrit dans le droit fil de l'attitude des rebelles du milieu des années 50, qu'il s'agisse de James Dean ou Marlon Brando au cinéma ou Eddie Cochran et Elvis Presley à ses tous débuts.

Depuis son retour de l'armée au début de 1960, Elvis s'est assagi. Un grand nombre de ses hits sont des chansons sentimentales et lui-même s'illustre avant tout dans une carrière cinématographique sans panache, imposée par son manager, le Colonel Parker - le King en souffre mais ne peut rien y faire, étant lié par contrat.

Les Beatles, pour leur part, s'ils sont volontiers facétieux, chantent alors principalement des chansons gaies aux paroles simples, et apparaissent comme des garçons de 'bonne famille'. Aux USA, les Beach Boys distillent eux aussi une pop guillerette, vantant les mérites du surf et des filles de Californie. Celui qui pousse les accents de la rébellion, d'une remise en question de la société est un chanteur folk, Bob Dylan, dont la poésie fait mouche auprès d'une jeunesse en quête de nouvelles réponses.

À travers 'Satisfaction', Mick Jagger reprend le flambeau de l'écriture rock rebelle et la hisse à une nouvelle étape : la réflexion sociétale. En premier lieu, le refrain est une complainte qui s'inscrit dans la tradition du blues : 'je n'arrive pas à obtenir de satisfaction'. Le texte lui-même est une charge virulente contre le mode de vie américain avec son consumérisme acharné. Mick raconte que le type à la radio le bassine d'informations qui ne lui sont aucunement utiles. Il se gausse ensuite des publicités diffusées sur les chaînes de télévision notamment de ce type qui vient lui dire combien sa chemise devrait être blanche.

'Mais ce ne peut pas être un homme
Car il ne fume pas
Les mêmes cigarettes que moi'

Dans le dernier couplet, il s'aventure sur un territoire plus insidieux, en expliquant qu'il essaye d'avoir une aventure avec une fille et que celle-ci lui dit de revenir la semaine prochaine, car ce n'est vraiment pas son jour.

Dans la nuit du 10 au 11 mai, à Los Angeles, dans les studios RCA, les Stones effectuent un premier enregistrement de 'Satisfaction'. L'ingénieur du son est Dave Hassinger, avec lequel ils ont enregistré l'album The Rolling Stones, now ! dans les studios Chess de Chicago un an plus tôt. Charlie Watts est ému : c'est dans ce studio que Duke Ellington a enregistré l'un des disques qu'il affectionne le plus, Take the 'A' Train.

Sur la première version, Brian Jones effectue une partie d''harmonica. Au fil des répétitions, Charlies Watts apporte une contribution d'importance : il estime qu'il faut interpréter 'Satisfaction' qui s'apparente encore à une ballade folk à la façon d'un rock.

Keith Richards demeure sceptique sur ce morceau et n'envisage pas le moins du monde que 'Satisfaction' puisse devenir leur prochain single. Seul Bill Wyman exprime un réel engouement pour la nouvelle chanson qui selon lui, est la meilleure qu'ils aient enregistrée à ce jour.

Pour interpréter le riff d'ouverture, Keith Richards aimerait faire intervenir une section de cuivres mais le temps manque. Faute de mieux, il se rend dans le magasin de musique local afin de faire l'acquisition d'une pédale d'effet qui pourrait enrichir la sonorité de la guitare. Il déniche un appareil en solde : Gibson Maestro Fuzz Tone. Elle correspond parfaitement à ce qu'il recherche : elle produit un son 'fuzzy' (flou), épaissit le son de sa guitare et la fait sonner à la manière d'une section de cuivres.

Le 12 mai, dans les studios RCA de Hollywood, entre 22 heures et 2 heures du matin, les Rolling Stones réenregistrent 'Satisfaction', sur un tempo plus rapide. Richards se sert la Fuzz Box en introduction à chaque couplet - il ne sait pas encore que ce riff va bientôt devenir légendaire.

Les " hé, hé, hé ! " qui fusent à la fin de chaque refrain, l'intermède de Watts à la batterie, le riff de guitare avec sa sonorité 'fuzz', tous les ingrédients semblent là pour un hit universel de portée immédiate.

En dépit d'un tel traitement, Keith Richards n'est toujours pas convaincu du potentiel de 'Satisfaction' :

" Keith ne pensait pas que 'Satisfaction' puisse faire l'objet d'un single ni même qu'il faille en faire quoi que ce soit, " a raconté Mick.

La question est tranchée en faisant voter ceux qui ont participé au morceau, y compris leur manager Andrew Oldham, le pianiste Ian Stewart et l'ingénieur du son Dave Hassinger. Le oui ayant triomphé, 'Satisfaction' est programmé pour une sortie américaine le 6 juin 1965.

Bill Wyman est tellement convaincu du potentiel de 'Satisfaction' qu'il parie une paire de boots sur mesure d'une boutique ultra-chic, Anelo & Davide, comme quoi ce sera le plus grand succès qu'ils aient sorti.

En réalité, dès que les radios commencent à diffuser 'Satisfaction', son impact est immédiat. L'effet du single est perceptible dès le 16 mai, au vu de l'accueil que réserve le public lorsque la chanson est étrennée sur la télévision américaine dans l'émission Hollywood A Gogo.

'Satisfaction' déloge 'I got you babe' de Sonny & Cher et devient le premier n°1 des Rolling Stones aux États-Unis. Durant l'été 1965, elle est présente sur les ondes du monde entier et s'impose d'un bout à l'autre de la planète. Sur scène, la chanson va devenir l'un des morceaux de bravoure du groupe avec une version étendue pouvant se prolonger sur une bonne dizaine de minutes.

" C'est la chanson qui a fait les Rolling Stones, celle qui a transformé ce groupe parmi tant d'autres en un groupe énorme. Tu n'as besoin que d'une chanson. C'est impressionnant de voir à quel point la popularité de cette chanson a donné au groupe une stature mondiale, " a confié Mick Jagger au fondateur du magazine Rolling Stone, Jann S Wenner vers 1995.

En 1998, les ventes mondiales de ce single étaient estimées à 5 millions, dont 1,5 millions sur le seul territoire américain. 'Satisfaction' a fait l'objet d'une centaine de reprises, par des chanteurs tels que Otis Redding, Aretha Franklin, Devo, Jack White, le français Eddy Mitchell mais aussi Bryan Adams et Britney Spears. Sur un pirate fort rare des Beatles, on peut entendre une reprise de la chanson effectuée en 1969. Il en est de même sur un pirate de Bruce Springsteen remontant à 1978.

Extrait du livre Les chansons des Rolling Stones.

2. Like a Rolling Stone


like a rolling stone

Dylan n'était pas disposé à se laisser enfermer dans le carcan du folk. La vague anglaise, l'énergie des Rolling Stones ou celles des groupes californiens interpellait le Picasso des émotions, de plus en plus attiré par une poésie plus fantastique et surréaliste. Après quatre albums réalisés avec pour seul accompagnement sa guitare et son harmonica, Bringin' all back home avait marqué un tournant, accueillant quelques morceaux électrifiés, tels le fameux " Subterranean Homesick Blues ". Celui par qui le scandale arrivait allait pousser l'expérience plus avant à l'occasion d'un extraordinaire album, peut-être son œuvre maîtresse, Highway 61 Revisited, dans laquelle figurait le dantesque " Like a Rolling Stone ".

Dylan était revenu lassé de sa tournée anglaise de 1965, au cours de laquelle il avait joué ses derniers concerts acoustiques. Il envisageait purement et simplement de jeter l'éponge et s'était retiré avec sa femme Sara dans une maison de Woodstock qu'il louait à la mère de Peter Yarrow. C'est dans un tel contexte qu'il avait écrit un long texte d'une dizaine de pages, qui allait devenir " Like a Rolling Stone ". Une allégorie amère, trempée dans l'absinthe, en forme de réquisitoire éhonté, blâmant la chute vertigineuse d'une fille qui avait connu la richesse…

Il fut un temps où tu t'habillais si bien
Tu jetais dix cents au mendiants, pas vrai ?
Les gens appelaient pour dire 'gaffe, poupée, tu vas trébucher'
Tu pensais qu'ils te faisaient marcher
(…)

Et de continuer en clamant que la jolie pimbêche n'était plus si fière maintenant, sans logis, inconnue de tous, like a rolling stone, à la manière d'une pierre qui roule…

D'autres passages paraissaient indiquer que le narrateur ciblait une personnalité particulière, au parcours chaotique :

Tu passais ton temps sur le cheval de chrome avec ton diplomate
Qui portait sur son épaule un chat siamois
Comme ce fut dur lorsque tu as découvert
Qu'il n'était pas vraiment là où cela se passe
Une fois qu'il t'eut pris tout ce qu'il pouvait piller

Dylan n'avait pas forcément prévu de mettre ces vers en musique. Mais un jour, alors qu'il se trouvait au piano, il s'était surpris à chanter " How does it feel ? "… " Like a Rolling Stone " naquit ainsi sur le clavier avant d'être transposé à la guitare.

Rarement une chanson n'avait accueilli une prose aussi forte, aussi acerbe et fleurie. Qui avait bien pu inspirer une telle diatribe à Bobby ? Certains ont prétendu qu'il pouvait s'agir de son ex-compagne Joan Baez, qu'il venait de larguer. Mais selon la chanteuse folk, la cible aurait été le musicien et poète Bob Neuwirth, longtemps son proche confident. D'autres ont voulu y reconnaître le top model Edie Sedgwick, jadis la protégée de Andy Warhol - elle apparaissait dans son film Chelsea Girls. Intimement liée à la scène pop art des années 60, Sedgwick aurait été la compagne éphémère de Mick Jagger et de Lou Reed avant de mourir à l'âge de 28 ans. Or, Edie avait raconté que des junkies de la jet set, avaient dérobé tous ses bijoux et vêtements. Se pourrait-il que Dylan ait extrapolé le texte de " Like a Rolling Stone " à partir des frasques et mésaventures d'une telle figure de la scène pop-art ? L'intéressé n'a pas voulu confirmer mais a tout de même dit ceci : " Je n'ai jamais eu grand chose à voir avec Edie Sedgwick. J'ai lu ici et là que nous avions été en relation mais tout ce dont je me souviens, c'est qu'elle traînait alentour. C'était une chouette fille, passionnante et très enthousiaste. Elle gravitait autour de Andy Warhol et moi-même j'entrais et sortais de scène. Ma femme et moi vivions dans l'hôtel Chelsea vers 65 ou 66. Nous avions quitté l'hôtel un an avant la sortie du film Chelsea Girls. Pour le reste, je ne me rappelle pas avoir eu une relation particulière avec Edie. "

D'autres inspirations ont été suggérées. En premier lieu, la chanson " Rolling Stone " du bluesman Muddy Waters. De plus, comme allait en témoigner le documentaire Don't look back, il était en train de chanter " Lost Highway " de Hank Williams les 3 et 4 mai 1965, quelques semaines avant d'écrire " Like a rolling stone ". Or cette country song démarrait par la phrase " I'm a rolling stone ". Le plus étonnant reste que Dylan ait déclaré qu'il avait eu l'idée du couplet en écoutant " La Bamba ", ce chant traditionnel mexicain rendu célèbre suite à son interprétation par Ritchie Valens ! Quoiqu'il en soit, cette chanson que Dylan avait composée au piano en une seule nuit lui a ouvert de nouveaux horizons. Les textes qu'ils va élaborer par la suite vont témoigner d'une nouvelle maturité, d'un horizon plus impressionniste. Pour mettre en scène ces extravagances, ni l'acoustique sobre des premiers albums, ni l'accompagnement rock ébauché sur des chansons telles que " Subterranean Homesick Blues " ne pouvaient convenir. Il fallait aller au-delà de telles normes, élaborer un nouveau décor.

Durant les séances qui se sont déroulées en juin 1965 dans les studios de Columbia à New York, Dylan avait convié plusieurs musiciens de renom : Mike Bloomfield (guitare), Frank Owens (piano), Robert Gregg (batterie), Joseph Macho Jr. (basse), Al Gorgoni (guitare). Un troisième guitariste allait se retrouver sur les lieux, un dénommé Al Kooper… Si l'intention première était d'aller au-delà du folk comme du rock, tout était à inventer. Ni Dylan, ni le producteur Tom Wilson n'avait d'idées préconçues. Il ne semblait pas exister de sonorité qu'ils puissent citer comme référence. Comme l'a rapporté Mike Bloomfield : " personne n'avait la moindre idée de la façon dont cela devait sonner au juste. Dylan ne dirigeait pas la musique. Le producteur ne nous disait pas ce qu'il fallait jouer. C'était une affaire de pure chance. " C'est par une étrange alchimie qu'un son proche du rythm'and blues allait alors émerger. La clé : la combinaison guitare / piano / orgue. Elle n'était pas nouvelle en soi, mais son traitement avait quelque chose d'original. Le plus étonnant, c'est que ce qui sera par la suite assimilé au " son Dylan " est né en partie du hasard.

La légende a longtemps voulu que la chanson ait été enregistrée en une seule prise, un seul jet, une idyllique osmose digne d'un moment fort de Miles Davis et John Coltrane en live. Pourtant, l'on sait aujourd'hui qu'il s'agit d'une légende et divers témoignages discographiques en attestent. Le 15 juin, Dylan avait enregistré 5 prises d'un " Like a Rolling Stone' relativement dépouillé avec un rythme de valse et une dominante guitares et piano. À l'évidence, un tel habillage n'était pas à la hauteur de la comedia dell'arte dépeinte tout au long de ces quatre couplets fiévreux et brechtiens.

Le lendemain, Dylan avait effectué 15 prises successives de " Like a Rolling Stone " - la quatrième ayant été retenue pour le single comme pour l'album. C'est à cette occasion que le musicien Al Kooper a accompli un acte de légende… Selon ce qu'il a lui-même raconté; il était arrivé vers une heure vingt dans le studio, sur l'invitation de son ami le producteur Tom Wilson. Kooper cultivait le désir secret de faire valoir ses talents de guitariste à la première occasion. Une fois sur place, il avait découvert que ce rôle était déjà tenu par Mike Bloomfield. Pas de chance…

A deux heures moins le quart, Dylan était en train de répéter une longue chanson et Kooper avait été sidéré par ce qu'il entendait. Puis, Dylan s'était mis à pester parce qu'il lui manquait une partie d'orgue adéquate. Tandis que Tom Wilson avait été appelé au téléphone, Kooper s'était assis devant l'orgue Hammond B3 pour improviser quelques contrepoints. Ce faisant, il avait créé quelques-unes unes des répliques instrumentales les plus célèbres de l'histoire.

" Ce que j'ai joué était totalement spontané ", a affirmé Kooper. " Je savais que je pouvais le tenter parce que j'avais joué de la guitare au cours de nombreuses séances. 'Like a Rolling Stone' était unique parce que je n'étais pas en train de jouer l'instrument dont j'avais la maîtrise. Je me trouvais sur un territoire vraiment peu familier, en train de me battre pour mon avenir en tant que musicien. J'étais à la merci du producteur Tom Wilson qui aurait aussi bien pu me virer. Mais il m'a fait confiance, et c'est ainsi que je suis devenu organiste. "

Les méandres opérées tant bien que mal par Al Kooper allaient laisser leur trace et imprimer une marque essentielle dans " Like a Rolling Stone ". L'orgue Hammond B3, déjà valorisé par les Animals dans " House of the Rising Sun " allait définitivement gagner ses galons d'instrument rock. En parallèle, Mike Bloomfield avait opéré des prodiges à la guitare.

Extrait du livre Rock Vibrations.

3. A day in the life


beatles rehearsal

En réalisant A Day in the Life, les Beatles émancipent la pop music et sonnent le départ de l'ère du " progressive rock " et des expérimentations musicales. Cette pièce qui conclut l'album est composée de deux créations inachevées, l'une de John (au début et à la fin du morceau) et l'autre de Paul (le pont du milieu, juste après la sonnerie).

La partie composée par Lennon est due à la lecture de deux faits divers dans le Daily Mail en janvier.

Le premier conte la disparition de Tara Browne, riche héritier de la famille Guinness dans un accident de voiture. Selon les termes de John, c'était un 'lucky man who made the grade' (un veinard à qui tout avait réussi).

Le second parle de 4000 trous (des nids-de-poules) dans les rues de Blackburn, Lancashire. Ces thèmes de départ servent de trame initiale. De son côté, Paul a l'idée du " I'd love to turn you " (j'aimerais te brancher, te faire décoller) qui pourrait favoriser une transition. Comme l'a raconté John : " j'avais l'essentiel de la chanson mais il me manquait un milieu et Paul me l'a apporté ".

Pour relier les parties de John et de Paul, le groupe enregistre une séquence de vingt-quatre mesures. Paul qui a écouté des œuvres modernes telles que celles de Stockhausen a alors une idée brillante pour remplir cette transition : un crescendo orchestral. Quarante musiciens d'un orchestre classique sont réunis à Abbey Road le 10 février et George Martin leur assigne leur tâche : jouer toutes les notes de leurs instruments, en partant de la plus grave et en allant jusqu'à la plus aiguë. Si les violonistes paraissent désemparés par une telle requête, les trompettistes la trouvent à leur goût et font preuve d'audace. Pour enregistrer une telle densité sonore, Martin et Emerick, qui travaillent sur un simple magnétophone 4 pistes de Studer, ont besoin d'un deuxième appareil. Le directeur technique des studios Abbey Road invente un système qui permet de synchroniser les deux magnétophones : un signal placé sur la piste d'un Studer pilote le deuxième appareil ; du jamais vu à l'époque.

Juste après le son du réveil, Paul évoque ses souvenirs de l'époque où il devait se dépêcher d'aller à l'école le matin, puis John reprend sa partie. John désire qu'au final la chanson " enfle pour exploser en un son d'apocalypse. " À cette fin, trois pianos sont mis à contribution pour jouer l'accord final et les techniciens vont progressivement monter le volume du magnétophone afin que la vibration s'étale le plus longtemps possible.

Nantie d'un arrangement aussi sophistiqué, A Day in the Life entre dans la légende, et au cours des années qui suivent son effet sera sensible sur de nombreuses productions. La transition orchestrale en forme de crescendo a contribué à briser les frontières entre le rock, le classique et la musique d'avant-garde. La qualité du texte de Lennon qui s'attarde sur 'une journée dans la vie' a également été pour beaucoup dans l'aura de " A Day in the Life ".

Extrait du livre Beatles de A à Z.

4. Good Vibrations


Paul Baack - DevianArt

Good good good vibrations…

Les voix fusent, se superposent, s'envolent dans les cieux, se télescopent… Nous sommes en hiver 1966 et les Beach Boys sont au faîte de leur gloire. Avec " Good vibrations ", ils viennent de faire le single le plus étonnant qui soit, une sorte de mini-film en plusieurs parties, tout en rebondissements et surprises. De l'autre côté de l'Atlantique, les Beatles demeurent éberlués. Comment font-ils cela ? D'où sortent ces harmonies ? Où Brian Wilson, le leader des Beach Boys, trouve-t-il de tels accords, de telles sonorités ?

En cette année 1966, les Beach Boys sont les seuls vrais concurrents de la formation de Lennon et McCartney. En mai, ils ont sorti un album mémorable, Pet Sounds, qui a laissé le monde de la musique pantois.

" Ce disque m'a fait flipper, " a raconté Paul McCartney, " En l'entendant pour la première fois, j'ai pensé : c'est le meilleur disque de tous les temps. Qu'est ce que je vais pouvoir faire après ça ? "

Fondé en octobre 1961 par les frères Wilson, Denis, Carl et Brian, épaulés par deux amis, les Beach Boys ne sont pourtant au départ qu'un groupe fort banal de " surf music " : leurs chansons tournent inlassablement autour de ce sport typiquement californien. Une chose les distingue toutefois : des harmonies vocales d'une incroyable sophistication. Au fil des chansons, Brian Wilson imprime sa pâte : il compose de très belles mélodies et fait preuve d'une créativité hors pair. Les hits se succèdent, de " I get around " à " California Girls " et ils apparaissent de plus en plus comme les concurrents américains des Beatles.

Lorsque Brian Wilson entend Rubber Soul des Beatles à la fin 1965, il est tellement retournée qu'il ne parvient pas à dormir durant deux nuits :

" C'était la première fois de ma vie que j'entendais un disque de rock sur lequel tous les morceaux étaient vraiment bons. "

Désireux de rendre la pareille, Brian Wilson s'attelle à enregistrer " le plus grand album de rock de tous les temps ". Il supervise alors la réalisation du fabuleux Pet Sounds, un disque truffé de moments forts, hyper-créatif et inspiré avec une chanson phare : " God Only Knows. "

Apparu le 7 mai 1966, Pet Sounds est un choc universel. McCartney déclare que " God Only Knows " est la plus belle chanson jamais écrite. Cette année là, les lecteurs britanniques du New Musical Express désignent les Beach Boys comme meilleur groupe mondial. À l'automne, le groupe récidive avec l'infernal single " Good Vibrations ".

Pourtant, les Beach Boys ont déjà atteint leur apogée. Au début de l'année 1967, Brian Wilson démarre un autre projet fabuleux, l'album Smile. Et puis, il découvre Sgt Pepper's des Beatles et réalise qu'il n'est pas en mesure de lutter avec les Beatles. Cette constatation est le début d'une longue dépression. Etant donné la défection de Brian, les Beach Boys doivent annuler à la dernière minute leur participation au Festival de Monterey qui impose de nouveaux noms : Doors, Jimi Hendrix. Dépassé, les Beach Boys ne sont plus à la mode et, tandis que Wilson garde la chambre durant deux ans, ils deviennent un groupe de second plan, qui va toutefois persister au fil des années et connaître quelques retours de flamme comme avec l'album méconnu Surf's up.

Pet Sounds pour sa part, a continué de fasciner des générations de fans et de musiciens. Il est régulièrement classé dans les 2 ou 3 meilleurs albums de tous les temps dans la plupart des classements. Et Brian Wilson, 37 ans après le démarrage du projet, a finalement achevé Smile en solo et un peu de la magie d'antan est encore là…

Extrait du livre La musique des années hippies.

5. Hey Jude


Hey Jude

Hey Jude a été l'un des plus gros succès des Beatles. Avant la fin 1968, plus de cinq millions d'exemplaires avait déjà été vendus. Aux USA, le 45 tours est demeuré à la première place du hit-parade durant neuf semaines.

Au printemps 1968, rien ne va plus entre John Lennon et son épouse Cynthia * une procédure de divorce a été engagée. Or, Paul McCartney a tendance à se comporter à la manière d'un oncle envers Julian, le fils de John qui a alors cinq ans. Tandis qu'il roule un jour vers le domicile de Lennon, Paul a l'inspiration d'un thème qu'il baptise initialement : " Hey Julian ". McCartney vient de créer l'une de ses plus belles chansons et la contribution de Lennon va avant tout consister en encouragements, notamment sur une partie de la chanson que Paul jugeait faible.

L'enregistrement de " Hey Jude " par les Beatles démarre à la fin juillet et devient gigantesque, une section symphonique intervenant vers la fin du morceau.

Pour l'occasion, George Martin a fait venir des musiciens classiques dans les studios d'enregistrement. A en croire Paul McCartney, ceux-ci pouvaient manifester des sourires ironiques à l'idée de jouer pour un groupe pop. " Vers la fin du morceau, nous leur avons demandé de chanter à l'unisson et de taper dans leurs mains. L'une d'entre eux a refusé et a dit : 'je n'ai pas été formé à taper dans mes mains' ".

De nombreux effets sont intégrés au finale dont une guitare à l'envers, de l'écho sur le piano et des bruitages. Le tout représente 54 pistes au total, mais l'ingénieur du son parvient à intégrer le tout sur l'équipement alors utilisé - un magnétophone 8 pistes.

" Je me rappelle avoir demandé à George de ne pas jouer de guitare. Il voulait produire des riffs en échos après les phrases vocales, mais je ne trouvais pas cela approprié, " a raconté Paul. " Il ne le voyait pas ainsi et ce n'était pas facile pour moi de demander à George Harrison - qui est un grand - de ne pas jouer. C'était comme une insulte ".

En 1994, Paul s'est souvenu d'une autre anecdote.

" Ringo était sorti pour aller aux toilettes et je ne l'avais pas remarqué. J'ai démarré ma prise de voix et de piano. Dans Hey Jude, il s'écoule un petit moment avant que la batterie n'intervienne. Soudain, j'ai senti Ringo qui marchait à pas de loup derrière mon dos, pour s'installer à sa batterie. Et dès qu'il a pris position, boom boom boom, le timing était absolument impeccable. "

Revolution est le constat que John Lennon adresse aux partisans de la gauche révolutionnaire dont il redoute les excès. Il regrette de ne pas les voir présenter un programme d'actions positives pour contrebalancer leurs paroles de destructions. Il souhaite que la contre-culture soit positive et qu'elle propose quelque chose de nouveau, pour remplacer l'existant.

C'est ce que je disais à Abbie Hoffman et Jerry Rubin : ne comptez pas sur moi si c'est pour la violence. Ne m'attendez pas sur les barricades si ce n'est pas avec des fleurs. "

Hey Jude sort le 30 août 1968. La chanson qui s'étale sur plus de sept minutes s'installe à la première place du hit-parade américain durant neuf semaines (un record qui ne sera battu qu'en 1977). Le 45 tours devient la deuxième plus grosse vente des Beatles après " I want to hold your hand ". Quelques dix millions d'exemplaires en ont été vendus.

Hey Jude a été classée 3ème dans la liste des singles préférés des britanniques, derrière Bohemian Rhapsody de Queen et Imagine de John Lennon, sur un vote organisé par le Guinness Book en mai 2002. Par ailleurs, la chanson arrive en tête d'un grand nombre de classements de chansons des sixties proposés sur Youtube.

Extrait du livre Beatles de A à Z.

Albums et artistes des années 60

Les 10 albums majeurs des sixties

1. Abbey Road - The Beatles

2. Sgt' Peppers lonely hearts club band - The Beatles

3. Revolver - The Beatles

4. Highway 61 Revisited -Bob Dylan

5. Pet Sounds -The Beach Boys

6. Let it bleed - The Rolling Stones

7. Rubber Soul - The Beatles

8. Beggar's Banquet - The Rolling Stones

9. Ummagumma - The Pink Floyd

10. Tommy - The Who

Les 10 artistes majeurs des sixties

1. The Beatles

2. Bob Dylan

3. The Rolling Stones

4. The Beach Boys

5. The Doors

6. Simon & Garfunkel

7. The Who

8. The Kinks

9. Jimi Hendrix

10. Pink Floyd


Les 10 chansons françaises des sixties

1. Paris s'éveille - Jacques Dutronc

2. Amsterdam - Jacques Brel

3. Les playboys -Jacques Dutronc

4. Les copains d'abord - George Brassens

5. La bohème - Charles Aznavour

6. Ma plus belle histoire d'amour - Barbara

7. Je m'voyais déjà - Charles Aznavour

8. Le jazz et la java - Claude Nougaro

9. Le métèque - George Moustaki

10. Ivanovitch - Julien Clerc

10 chanteurs français - années 60

1. Jacques Brel

2. George Brassens

3. Jacques Dutronc

4. Charles Aznavour

5. Michel Polnareff

6. Claude Nougaro

7. Serge Gainsbourg

8. Barbara

9. Françoise Hardy

10. Johnny Hallyday / Adamo

Et vous, quel est votre classement ?

Je serais ravi de découvrir vos propres Top 10 des sixities. L'adresse pour m'écrire est accessible sur la page du Who's Who où il faut être .

Vos avis, remarques ou suggestions sont bienvenus.

Et si cet exercice vous plaît, je vais réaliser pareillement des pages : meilleures chansons des années 70, des années 80, etc.

A propos de l'auteur

Danic

Daniel Ichbiah a été deux fois n°1 du Classement Général des livres

Avec :

n°3 avec Michael Jackson, Black or White ?