Ce texte est issu de la 6ème édition de :
La Saga des Jeux Vidéo
Daniel Ichbiah
Chapitre 25 de la Saga des Jeux Video - 6ème édition
Si le jeu a muté aux alentours de 2010, c'est parce qu'il a trouvé un compagnon de prédilection en Youtube.
Youtube est devenu un réservoir inépuisable d'expériences, de trucs et astuces, de partage de découvertes, d'initiations, d'ouverture vers des niveaux cachés.
Le jeu vidéo a trouvé son alter ego, mais aussi sa vitrine idéale, car ce sont désormais les joueurs eux-mêmes qui assurent la promotion d'un titre !
Les Youtubeurs assurent la réclame d'un jeu comme aucun marketing ne saurait le faire.
Désormais, le jeu vidéo et Youtube vont s'épanouir ensemble, se côtoyer, se bonifier mutuellement.
Un autre service d'Internet a lui aussi amené le jeu vidéo à changer de dimension : Google Maps.
La possibilité de jouer au sein du monde réel, amorcée en 2001 avec Majestic de Electronic Arts s'est épanouie avec Ingress puis avec Pokémon Go.
Auparavant, il était courant de croire que Ultima Online ou World of Warcraft étaient les embryons d'un loisir universel appelé à dominer le siècle.
Il manquait une pièce au puzzle : la réalité augmentée.
Jouer dans son quartier, sur les trottoirs de sa propre ville, avec nos voisins comme partenaires est le nouveau frisson.
Une sensation indescriptible qui suscite l'envie d'aller explorer les bâtiments autour de chez soi.
Pokémon Go en a été la vitrine à très grande échelle dès 2016…
Avec Youtube, le jeu vidéo a trouvé le média qui lui manquait pour atteindre les cœurs à très grande échelle. Les blocages, les culs de sac et voies sans issue appartiennent au passé. Youtube établit le lien entre les 'gamers', expose les arcanes des passages les plus tordus, allant jusqu'à engendrer de nouvelles stars qui bien qu'elles opèrent depuis leur chambre, sont à même d'éclipser les chanteuses et présentateurs TV.
Plus que tout autre, un jeu a été transcendé par Youtube : Minecraft…
L'action démarre sur une île déserte… Ce n'est pas la première fois qu'un jeu nous transporte en un tel lieu. Pourtant, cette île est particulière. Formée de cubes. Même le soleil apparaît carré. La première fois, on se contente d'arpenter les herbages, inconscient du fait qu'à la tombée de la nuit, des monstres affamés vont surgir.
Si l'on survit miraculeusement ou bien si l'on repart à zéro, on s'avisera alors de bâtir un abri. Pour ce faire, il nous faut couper du bois, briser des pierres et assembler le tout. Très vite, malgré l'aspect spartiate, on se laisse emporter. Une fois que le virus Minecraft s'est installé, difficile d'en sortir.
Bientôt l'île va s'apparenter à une cité ancienne avec ses monuments improbables, ses plantations alignées, ses galeries souterraines, ses pagodes et tours de pierre.
Qui aurait pu croire que ce petit jeu anodin drainerait à lui tant d'explorateurs, tant de bâtisseurs ?
Nous sommes à Stockholm en Suède… Le visage tranquille, marqué par un perpétuel sourire, Markus Persson, baptisé 'Notch' arbore une barbe qui lui donne un air de gros nounours. Son visage est tellement suédois qu'il aurait pu, en d'autres temps, faire partie du groupe Abba. Elin, sa fiancée de l'époque le compare à un artiste et confie :
" Il a toujours aimé créer des jeux. Et j'ai toujours adoré les tester. "
Notch a passé les premières années dans une famille pauvre au nord du pays, à Edsyln, une campagne qui alterne des hivers très enneigés et des étés torrides. Sa distraction favorite consistait à se perdre dans les bois. Puis, à l'âge de 8 ans, un autre hobby s'est imposé : la programmation. Avec déjà l'ambition de créer des jeux. Lorsqu'il avait 12 ans, sa mère infirmière a divorcé de son père en raison de sa forte addiction à la drogue. De quoi inciter davantage à trouver refuge dans la création d'aventures ludiques.
A l'âge adulte, Notch a été embauché par une start-up sudéoise, King (alors nommée Midasplayer), qui quelques années plus tard va pondre l'un des plus gros hits de tous les temps : Candy Crush Saga. Il va demeurer 4 ans chez King et se lier d'amitié avec un autre développeur, Jakob Porser. C'est aussi chez King qu'il va rencontrer sa compagne, une fille aussi fine et petite que lui-même paraît grand en bien en chair, la gracieuse Elin Zetterstrand. Quelque part, ces deux là semblent fait pour s'entendre : il consacrent une partie de leurs week-ends à se pourchasser sur un jeu en ligne, Wurm Online.
S'il existe alors une règle d'or chez King, c'est que les programmeurs ne doivent pas créer des jeux en indépendant. Cet interdit indispose Markus 'Notch' Persson. Durant son temps libre, il s'attelle à de nombreux projets personnels.
A l'automne 2008, Notch s'autorise à demander à quelques employés de King s'ils voudraient bien tester un petit jeu qu'il vient de créer. Quelqu'un a du cafter car immédiatement, il est convié par la direction afin de lui rappeler les règles maison. Il lui est demandé au passage de céder cette création à King.
Vers la fin de l'année 2008, Notch fait ses adieux à King, car il supporte plus d'être bridé ainsi et veut opérer comme bon lui semble à ses heures perdues. Peu après, il prend un job chez Jalbum, une start-up dédié à la création d'album photo en ligne.
Au fur et à mesure de l'expansion de King, il devenait de plus en plus difficile de travailler sur mes créations durant mon temps libre. J'ai voulu nager en solo… "
En juin 2009, il se lance sur un projet qu'il entend mener à bien en un semestre ou deux : Minecraft...
En 1992, Terminator 2 nous avait donné une idée de ce que pourrait être la réalité augmentée, lorsque des informations s'affichaient par-dessus la vision du personnage interprété par Schwarzenegger.
Ce n'était qu'un avant goût de ce qui allait advenir 25 ans plus tard…
Ce qui s'est produit à partir de juillet 2016 aurait jadis été assimilé à du surnaturel. On pointe son iPhone devant soi et des créatures apparaissent en superposition du réel. Cela s'appelle Pokémon Go et son créateur répond au doux nom de John Hanke.
Né en 1967, Hanke se qualifie comme un "plouc de la cambrousse", ayant vécu sa jeunesse à Cross Plains, une petite ville de mille habitants dans le Texas. A l'âge de treize ans, après avoir tondu un nombre conséquent de pelouse, il a pu réunir de quoi acquérir un Tandy TRS-80. Il partage cette activité avec le basketball et sa participation dans un groupe de jazz.
En 1989, après des études à l'Université de Texas, Hanke a eu un premier job au Ministère des Affaires Etrangères de Washington, puis à l'ambassade américaine à Myanmar (ex Birmanie). Ce qui l'a alors frappé est de voir combien les gens semblaient heureux en dépit de leur pauvreté extrême. Cette quête du bonheur est demeurée ancrée dans sa psyché.
A son retour aux USA, il est entré dans une école de commerce de Californie, avec pour ambition de fonder un studio de développement. Il s'est trouvé qu'un camarade de classe en avait déjà créé un, du nom de Archetype.
Ensemble, ils ont supervisé le développement de Meridian 59, le premier jeu de rôles massivement multijoueur - il est sorti avant Ultima Online, mais n'a pas connu le même retentissement.
Si John Hanke est attiré par l'univers des jeux de rôles, c'est parce qu'ils lui rappellent un jeu sur plateau qu'il a adoré, Donjons et Dragons. Quelque part, une même motivation va le suivre d'un bout à l'autre de son épopée personnelle : restituer à partir d'un ordinateur le fun que l'on peut ressentir lorsqu'on joue avec des amis.
" Le challenge et la compétition qui naissent lorsqu'on essaye de deviner quelle sera la manœuvre d'une personne réelle et de la contrer est infiniment intéressante et on ne s'en lasse jamais ", dira Hanke au magazine Time.
Un autre élément qu'il apprécie est que dans Meridian 59, les joueurs se regroupent spontanément en guildes afin de mieux coordonner leurs actions et organiser des équipées.
Suite à l'échec de Meridian 59, Hanke a poursuivi une autre route. En 2000, il a fondé Keyhole, une entreprise de cartographie assistée par satellite. Certains médias ironiseront plus tard sur le fait que la start-up a été financée en partie In-Q Tel, une branche de la CIA dédiée au capital risque alors dirigée par Gilman Louie, l'homme qui a lancé Tetris aux USA.
Quoiqu'il en soit, la technologie de Keyhole a plu à Sergey Brin, l'un des fondateurs de Google, et il a souhaité procéder à l'acquisition de cette start-up. Durant un meeting chez Google en présence des hauts dirigeants, Brin a impressionné ses interlocuteurs en leur montrant comment il pouvait, avec Keyhole, zoomer sur le jardin des gens présents dans la salle.
En octobre 2004, deux mois après l'entrée en Bourse de Google, Keyhole a été racheté en échange d'un montant de 35 millions de dollars en action.
A l'époque, Hanke ne pensait rester chez Google que durant quelques mois, le temps d'assurer la transition. Il va pourtant y demeurer durant une bonne décennie.
En 2005, il lance Google Earth, puis supervise les évolutions de Google Maps qui va devenir le deuxième produit le plus utilisé de Google après le moteur de recherche. C'est Hanke qui a négocié avec Steve Jobs pour que Google Maps soit présent sur l'iPhone originel. Il va également superviser un service qui va faire couler beaucoup d'encre.
Le bouton Street View est apparu sur Google Maps en mai 2007. Un clic dessus affiche des clichés de la rue, de l'avenue sur laquelle l'on pointe. Pour mettre en œuvre ce service, Google a lâché des dizaines de Chevrolet Cobalt pourvues sur leur toit d'un mât équipé d'un appareil de prise de vues. Hanke a dû faire faire aux protestations de ceux qui estimaient qu'on empiétait sur leur vie privée. Quid des visages que l'on reconnaît sur les photographies ? D'automobiles garées au coin d'une rue et dont les immatriculations s'affichent au vu et au su de tous ? De personnes photographiées à leur insu là où elles pensaient bénéficier de l'anonymat ? Autant de questions que Hanke veillera à prendre en compte dans ses expérimentions à venir.
En réalité, Hanke n'a qu'un seul regret : cette mission consistant à cartographier le monde entier l'a éloigné de sa motivation première qui est les jeux. Il se trouve que Sergey Brin est lui-même un joueur avéré. Parfois, lors d'une réunion Brin confie qu'il aimerait marier Google Maps avec une interface ludique. Qu'il puisse arriver au détour d'une rue et se livrer à un combat avec un autre passant, tous deux étant munis d'armes virtuelles. L'idée va faire son chemin…
A Stockholm, Markus 'Notch' Persson est d'abord guidé par deux inspirations, d'une part le jeu de construction Dwarf Fortress sorti en 2006, et d'autre part, le jeu de gestion de parcs d'attraction, Roller Coaster Tycoon.
Et puis, il découvre un drôle de jeu multi-joueurs minimaliste basé sur des blocs cubiques : Infiniminer. Il nécessite d'aller rechercher des minéraux sous la terre et de les ramener à la surface. Publié le 29 avril 2009. Infiniminer a séduit une petite communauté de bâtisseurs improvisés.
Or, Zachary Bart, le créateur d'Infiniminer doit soudain faire face à une situation inattendue. Le code source (originel) de son jeu a été piraté et mis en ligne, à la disposition de tous. A présent, n'importe quel développeur zélé peut apporter des modifications à Infiniminer. En réalité, cette multiplication de versions dessert Infiniminer car la communauté, à peine née, en vient à se ramifier. Le 16 mai 2009, Zachary Bart décide d'abandonner sa création. Que chacun fasse évoluer Infiniminer comme il le souhaite, il n'en a cure.
L'un de ceux qui ont commencé à 'patcher' Infiniminer n'est autre que Notch. Il a même publié une vidéo sur Youtube pour présenter ce qu'il appelle son clone d'Infiniminer, 'Cave game', avec un monde composé de blocs d'herbes et de pierres. Trois jours plus tard, il poste une nouvelle vidéo dans laquelle il a rebaptisé son prototype Minecraft. On peut y observer la plaine étagée, et la création d'une structure s'apparentant à une maison. En réalité, le jeu de Notch va aller bien plus loin que son original…
" Lorsque j'ai joué à Infiniminer, j'ai réalisé que c'était parfait, à la fois compte tenu de mes compétences artistiques et compte tenu du type de jeu que je souhaitais créer. "
" Dès le départ, Minecraft était assez similaire à ce qu'il est devenu par la suite… "
Zachary Bart n'a manifesté aucune amertume à voir que sa copie a dépassé le modèle.
" L'acte consistant à emprunter des idées fait intégralement partie du procédé de création. Il y a des jeux qui sont apparus avant Infiniminer et il y a des jeux qui sortiront après Minecraft. C'est comme cela que cela fonctionne. "
Zachary Bart a d'ailleurs reconnu que Infiniminer avait lui-même été inspiré par d'autres jeux comme Infinifrag, Team Fortress 2…
Dans Minecraft, Notch dispose des blocs que le joueur peut assembler à volonté. De plus, il propose aussi un mode 'établi' pour que chacun puisse fabriquer des objets à partir des matières recueillies ici et là. Elin est instantanément séduite par ce qu'elle compare à un 'Lego digital'.
Tandis que Notch se concentre sur l'écriture du moteur du jeu, des versions 'alpha' commencent à circuler sur Internet. Les premiers joueurs se montrent séduits par la capacité qui leur est offert de bâtir à partir de ces cubes…
" Les gens ont commencé à accrocher aux premières versions qui n'avaient pourtant aucun gameplay intégré. Alors, j'ai décidé de conserver cela, de l'appeler, le 'mode créatif' ".
Notch laisse aller son imaginaire et ne cesse d'étendre son monde et ses possibilités.
Les premiers joueurs s'interrogent : quel est donc cet OVNI ? A ceux qui la questionnent sur la chose, Elin plaide spontanément la cause de Minecraft.
" Vous devez l'essayer pour comprendre ! "
Comme elle a raison. Aussi longtemps que l'on a pas eu la souris en main, on ne peut pas comprendre.
Pour faire connaître son jeu, Notch crée une vidéo qui annonce la couleur : 'Entrez dans un monde où la seule limite est votre imagination. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, vous pouvez construire tout ce que vous voulez. C'est le bac à sable dont vous n'osiez rêver.' Pour mieux attiser la curiosité, la vidéo évoque la présence de caves profondes et sombres, aussi bien que de hautes montagnes.
Chacun semble apprendre en même temps que les autres et des vidéos commencent à surgirpour mieux faire découvrir les trouvailles des uns et des autres. Certains font visiter leur maison. D'autres exposent les itinéraires de leur exploration et le fruit de leur collecte.
" Mon Dieu !... Je peux faire tout ce que je veux ici ! " s'exclame un joueeur.
La magie de Youtbe fait le reste. De nombreux joueurs se contentent d'enregistrer leurs parties telles quelles, ce qui amène d'autres joueurs à savourer ces moments livrés à l'état brut, sans le moindre montage. Nous pouvons assister comme en temps réel à leurs surprises, cafouillages, moments d'angoisse, chutes dans la lave ou victoires à l'arrachée. Incroyable, mais les joueurs semblent adorer cela ! C'est même une façon idéale pour eux de savoir s'ils devraient essayer Minecraft ou non.
Un clip va demeurer fameux. Un Youtubeur fait visiter sa demeure établie sur Minecraft, version Alpha V. 1.1.0 et soudain, elle se met à prendre feu. Impuissant, il ne lui reste qu'à sortir et assister à la transformation du domicile adoré en brasier !
Un deuxième mode, intitulé 'Survie' est ajouté au jeu, et celui-ci nécessite de bâtir une maison solide et aussi des armes afin de pouvoir se défendre durant la nuit contre les assauts de monstres.
De l'autre côté de l'Atlantique, chez Google, John Hanke qui et à la tête de la division Google Maps aspire toujours davantage à retrouver ses premières amours : le jeu vidéo.
Le quadrillage de la planète avec ses moindres rues est achevé. A présent, Hanke aimerait créer une application ludique couplée exploitant la cartographie et pour ce faire, il envisage de prendre le large.
Larry Page, le deuxième co-fondateur de Google le persuade de rester dans l'entreprise et propose de l'aider. Google va créer une division secrète dédiée aux jeux, dans son bureau de San Francisco. Hanke choisit d'appeler sa start-up Niantic Labs - Niantic était le nom d'un bateau qui a mené les chercheurs d'or en Californie en 1849.
Pour se faire les dents, Niantic crée une première app, Field Trip, qui alerte le propriétaire d'un smartphone lorsqu'il approche d'un site historique.
Ce n'est qu'un début.
Hanke est persuadé qu'il serait possible de réaliser un jeu extraordinaire en utilisant les données géographiques. Les téléphones mobiles sont devenus suffisamment puissants pour qu'il soit possible d'intégrer l'environnement dans un jeu d'aventure.
" Les gens ne sont pas faits pour rester chez eux dans le noir avec un tas d'électronique sur la tête. Ils préfèrent de loin sortir et interagir avec d'autres gens " estime Hanke.
Le jeu qu'il démarre, Ingress, va exploiter Google Maps et autres applications maison pour amener des joueurs à rechercher les fragments d'une énergie invisible à l'œil nu dans leur quartier, leur village, leur ville…
Au début, Markus Persson vend une quarantaine de Minecraft par jours. Puis, ce chiffre augmente et ne cesse d'augmenter. Bizarre, vous avez dit bizarre… Aucune promotion n'a été effectuée. C'est le bouche à oreille qui fait son effet. Bien avant que les magazines ne s'y intéressent, une communauté Minecraft s'est formée de manière spontanée. Ce n'est qu'après coup que les grands médias réaliseront ce qui s'est passé.
" La réaction a été effarante " raconte Notch. " J'ai commencé à soupçonner que le jeu avait un potentiel au début de l'année 2010. Peu à peu, c'est devenu démentiel ".
Les joueurs lâchés sur Minecraft s'apparentent bientôt à des chercheurs d'or, des aventuriers lâchés dans le Wild West. Une tendance se dessine, qui avait commencé avec les Pokémon et que Minecraft porte à une nouvelle échelle : ce qui se passe autour du jeu va bien au-delà du jeu ! Quelque part, Minecraft a donné le pouvoir au créatif qui sommeille en nous. Il semble n'y avoir aucune limitation aux possibilités de développer des mondes à sa guise ou de les explorer.
Progressivement, à la stupéfaction de Markus, Elsin ou Jakob, des élaborations hyper sophistiquées se déploient sur Youtube. Un système d'arrosage des plantes digne d'un expert en agronomie. Une unité centrale de PC que l'on peut visiter de l'intérieur…
Ce qui séduit la plupart des aventuriers, c'est la liberté qui leur est offerte. Certes, depuis une vingtaine d'années, un grand nombre de jeux sont devenus évolutifs, avec la possibilité d'ajouter ses propres décors ou niveaux. Toutefois, aucun jeu n'a jamais été aussi malléable que Minecraft. Plus les mois passent et plus les possibilités augmentent, plus le monde se développe. Markus lui-même reconnaît alors qu'il ignore jusqu'où il sera possible d'aller. D'ailleurs, ce qui le surprend fortement, c'est que quand il joue à Minecraft, il découvre régulièrement quelques excentricités qui lui ont échappé. Ainsi, sur Youtube, il voit parfois des joueurs accomplir un type de saut que lui-même, le programmeur du jeu, ne parvient pas à reproduire.
Chaque fois qu'une personne achète une copie de Minecraft, Notch reçoit un email. Comme la plupart des achats surviennent durant la nuit en Suède, tandis qu'il fait jour aux USA, les messages sont de plus en plus nombreux à se succéder le matin sur sa boîte aux lettres. A présent, cela se compte par centaines. Un matin, il réalise qu'il a engrangé près de 6 000 dollars en 24 heures !
Un jour, Notch découvre que la barre des 20 000 copies a été franchie. Mieux encore, son relevé bancaire fait apparaître qu'il dispose d'un million de de couronnes suédoise - l'équivalent de 100 000 euros - sur son compte ! Presque gêné, il confie la nouvelle à sa fiancée Elsin, tout en la minimisant :
" Le premier million est le plus difficile ! "
A cette époque, il n'imagine pas qu'il soit possible de récolter un deuxième million. Pourtant la frénésie continue. Avant que Notch n'ait pu comprendre ce qui se passe au juste, les ventes s'élèvent à 10 000 par jour…
Pour l'heure, Notch n'a aucunement modifié son style de vie. Il travaille toujours chez Jalbum dans la journée et ne sait s'il doit lâcher ce job. Comment savoir si le succès de Minecraft n'est qu'un feu de paille ?
C'est un coup de fil de la société Valve, en août, qui va amorcer un tournant. Valve figure parmi les sociétés mythiques du jeu vidéo, pour avoir développé l'un des titres PC les plus appréciés : Half Life. A cette époque, Valve a démarré un projet qui là encore, est appelé à changer la face du jeu vidéo : Steam, un système de distribution des jeux à grande échelle sur toutes sortes de plates-formes.
Persson a du mal à y croire : la personne de Valve au bout du fil la félicite pour Minecraft et lui propose, sans réellement le spécifier, un job chez Valve ! Serait-il disposé à venir les rencontrer à Seattle pour en discuter ?
Comment négliger une telle opportunité ? Il est convenu que Markus Persson viendra les voir début septembre.
La popularité de Minecraft devient si forte qu'à la fin de l'été 2010, Markus Persson envisage de plus en plus sérieusement à monter une start-up - il ne lui est plus possible de suivre la demande. Et d'appeler Jakob Porser pour lui demander s'il envisagerait de quitter son job chez King ?
Jacob est partant. Avant de se décider, Persson veut tout de même rencontrer les gens de Valve.
Un autre événement modifie la vision de Markus Persson. Afin de faciliter l'achat de Minecraft par les joueurs, il a créé un compte Paypal et placé le bouton ad hoc sur le site du jeu. Or, le 25 août, un message pour le moins surprenant arrive de Paypal : le compte de Markus Persson a été bloqué et, s'il veut récupérer l'accès aux quelques 600 000 € qui s'y trouve, il doit leur envoyer tout un tas de documents. Il faudra plusieurs jours avant que l'affaire ne soit résolue.
La visite chez Valve au début septembre 2010 est prometteuse. La ville de Washington à Seattle, où sont établies des entreprises comme Microsoft, Amazon, mais aussi Alexey Pajitnov, l'auteur de Tetris, paraît agréable à vivre. Une fois dans les locaux de Valve, Notch a le plaisr de rencontrer brièvement Gabe Newell, le fondateur de l'édition, qui visiblement a entendu parler de Minecraft. Il est ensuite soumis à une 'job interview' à l'américaine avec certaines questions déroutantes telles que : 'comment vous y prendriez vous pour programmer un ascenseur ?'.
Au pied du mur, devant l'opportunité qui lui est offerte d'entrer chez Valve, Markus Persson freine des quatre fers. Une pensée lui vient à l'esprit :
" Je ne tiens pas à travailler pour Valve. Je veux créer un Valve ! "
Au sortir de l'entrevue, Notch invite officiellement Jakob Porser à quitter King. Il en est de même pour un autre employé, Carl Manneh, un jeune homme séduisant aux yeux bleus, qui se voit offrir de prendre la direction générale de la start-up.
Le studio Mojang (un mot suédois qui signifie 'machin') est créé en octobre 2010 sur l'une des îles de la ville de Stockholm. Il compte alors six personnes. En guise de plaque, Mojang a été aussi minimaliste que les décors de Minecraft : le nom de la société a été gribouillé à même un carton scotché sur la fenêtre de la porte principale.
Dans une grande pièce, plusieurs tables sont accolées, rapidement jonchées de PC et de Mac. A la fin 2010, ils seront sept dans le bureau. Jovial et débonnaire, Markus 'Notch' Persson apparaît comme le boss de rêve, tout en douceur et en rondeurs. Lors de leurs pauses, les employés aiment à se réunir pour découvrir ensemble les folles créations des joueurs de Minecraft.
Minecraft est encore en phase 'beta'. Dès cette époque, Notch laisse entendre qu'il souhaite que Mojang reste petit. Il redoute de perdre la qualité de relations que peut entretenir une bande de copains si l'entreprise venait à croître démesurément.
Lors des fêtes de fin d'année de 2010, Markus s'accorde une semaine de vacances. Il tente de prendre du recul sur ce qu'il est en train de vivre. Un an et demi vient de s'écouler et déjà, Minecraft est en train de devenir un phénomène. On recense jusqu'à 20 000 téléchargements par jour. Qui aurait pu y croire ? La pause est toutefois brève et dès son retour, il replonge des heures durant, dans l'élaboration de Minecraft.
Janvier 2011 est un tournant. Minecraft vient de franchir le cap du million d'exemplaires vendus. L'IGF (Independant Game Festival) dévoile ses nominations de l'année et il s'avère que Minecraft est nominé dans 3 catégories : Excellence technique, Design mais aussi Grand Prix.
En mars 2011, Markus se rend à la GDC (Game Developer Conference), à San Francisco, un événement qui rassemble des créateurs de jeux. Sur place, il a la surprise d'être congratulé par des passants. " Honoré de vous rencontrer " lui disent plusieurs d'entre eux. Des lycéens lui déclarent qu'ils jouent tous à Minecraft. " Je n'arrive pas à croire que je vous rencontre aujourd'hui ! " confie un fan. Un même message : les gens n'aiment pas le jeu, ils l'adorent !
Que dire ? Markus Persson, pour sa part, a du mal à y croitre et confie à ses équipes qu'il ressent parfois le 'Syndrome de l'Imposteur'.
Durant la GDC, Minecraft reçoit le Prix du Meilleur Jeu Téléchargeable, celui du Prix de l'Innovation du Meilleur Début… 5 récompenses en tout, pareillement inattendues.
" C'est la nuit la plus incroyable que j'ai jamais vécue " dira Markus.
L'une des légendes du jeu vidéo, Peter Molyneux, notamment inventeur des 'God games' où l'on veille sur la destinée d'une population y va de son couplet :
" Dès la toute première seconde où j'ai vu Minecraft, c'est comme si le monde a un peu changé pour moi. Immédiatement, je suis allé voir tout le monde pour leur dire : il faut que vous regardiez ce jeu ! Certains l'ont regardé et ont haussé les épaules : où sont les défis, etc ? Toutes ces choses censées être des conditions sine qua non. Minecraft a brisé toutes les règles. "
Molyneux compare Minecraft à un 'Lego social' avec une nuance : c'est l'équivalent du Lego d'origine, dépourvu d'instructions et ouvert à l'imaginaire de chacun.
En avril 2011, Mojang célèbre les 2 millions d'exemplaires vendus. Markus Persson demeure toujours le même et l'accès à une belle opulence financière ne semble pas avoir altéré son bonhomie.
" Je pourrais continuer à programmer des jeux comme cela pour le reste de ma vie, " confie-t-il alors à un reporter.
L'un des rares privilèges qu'il s'accorde est de voler en première classe.
Pourtant, un aspect de sa position commence à devenir un souci. Régulièrement, dès lors que Mojang modifie un aspect du jeu, des messages ultra déplaisants apparaissent sur les forums Minecraft. Persson veut se rassurer en remarquant que la grande majorité des messages sont positifs. Toutefois, certaines de ces piques sont plutôt mal vécues.
Le jeu n'est toujours pas sorti en version définitive. Son lancement officiel va intervenir le 18 novembre 2001 à Las Vegas. A cette même époque, Markus Persson délègue la suite de Minecraft au programmeur principal Jens Bergensen. Lui-même entame la création d'un nouveau titre.
Sortie en février 2011, la console 3DS de Nintendo a été le premier appareil grand public tentant d'exploiter les atout de la réalité augmentée. Lorsque l'on pointe la caméra de l'appareil vers certaines cartes, des personnages apparaissent à l'écran. C'est amusant mais que dire… On s'en lasse rapidement.
Le jeu que lance Niantic, la filiale jeu vidéo de Google, est d'une toute autre dimension. Appelé Ingress, il est encore en version beta. La prouesse vient de ce qu'il intègre un scénario de science-fiction dans le quotidien de chacun.
Sur l'un des écrans d'accueil, il est annoncé qu'une matière étrangère d'origine inconnue, la XM ou Matière eXotique, a envahi le monde. Il s'agit d'un matière intelligente qui est en mesure d'influencer la pensée humaine. Il est demandé au joueur de rejoindre l'un de deux camps : les Eclairés qui cherchent à maîtriser le XM et les Résistants, qui estiment que cette substance ne peut servir qu'à asservir l'humanité.
Ce qui est troublant, c'est que sur le smartphone, on voit apparaître un point situé à proximité de chez soi et qui est un portail. L'expérience est fascinante. Ces portails peuvent être hackés en vue de collecter des objets. Pour s'y rendre, il faut parfois marcher sur plusieurs kilomètres… Les portails sont généralement situés près de sculptures ou sites historiques du monde réel.
On approche de l'église proche et depuis notre smartphone, il nous est demandé de déployer ce qui est appelé un 'résonateur' en vue de capturer le portail et recueillir du XM. Une fois la récolte effectuée, on est félicité. Que dire ? Nous avons été invité à jouer dans le décor de notre environnement quotidien et il sera difficile de décrocher.
D'autant plus difficile de décrocher qu'assez vite on peut rejoindre une équipe locale d'Eclairés ou de Résistants pour œuvrer à faire triompher la cause que l'on a choisie. On va pouvoir rencontrer certains d'entre eux dans la vraie vie. Comme le dira Hanke au risque d'évoquer une lapalissade : " J'ai pu constater au travers de Ingress que les gens adorent se retrouver avec des gens ". Des amitiés mais aussi des mariages vont découler de ces rencontres du troisième type.
" Ingress est un jeu futuriste où les lieux sont des énigmes. Les joueurs peuvent prendre le contrôle de portails pour les activer, les relier, former des camps... Ces portails correspondent à une base de données de lieux, avec des repères historiques, une base de données avec des centaines de milliers d'œuvres d'art et de statues ", explique Hanke.
Si Ingress devient chaque jour plus ensorcelant, c'est parce que Niantic encourage les participants à proposer des lieux de leur voisinage qu'ils estiment aptes à devenir des portails. 15 millions de propositions arrivent peu à peu chez Niantic. Un tiers seront approuvées. La règle : ce doit être des chefs d'œuvre artistique mais aussi des lieux sûrs et accessibles publiquement.
Ingress va connaître un succès notable, ralliant des millions d'utilisateurs au plus fort de sa gloire.
Et puis, l'envie d'aller plus loin a émergé.
" Au sein de l'équipe Niantic, on s'est dit : on a fait Ingress, quelle pourrait être la prochaine étape pour faire grandir cette plateforme ? "
Du côté de la Suède, Minecraft a continué sa folle ascension. En mai 2012, cet insolent succès se confirme lors du lancement de la version Xbox qui se vend à 1 million d'exemplaires en 5 jours. Dès le mois suivant, les premiers jouets Lego basés sur Minecraft sont dans les boutiques.
Pourtant, en interne, quelque chose a changé. L'afflux d'argent commence doucement à changer la vision du fondateur de Mojang. Minecraft a rapporté plus de 100 millions de dollars à son auteur en 2012 comme en 2013 ! Or, à l'exception des trois fondateurs, aucun des employés n'a reçu des parts de Mojang. Notch laisse entendre qu'il se montrerait généreux envers certaines institutions :
" Pour moi, la façon correcte de gérer l'argent est d'en mettre une part décente de côté pour mettre ma famille à l'abri du besoin, et d'en dépenser une partie pour accomplir ses rêves en essayant d'améliorer la société. Cela inclut des œuvres charitables aidant les enfants et d'autres oeuvrant en faveur des libertés. "
Notch peut aussi arguer d'une certaine générosité envers ses collaborateurs. Pour fêter les revenus de 2013 - 326 millions de dollars dont 115 millions de bénéfices - il a distribué plus de 3 millions de dollars de dividendes aux employés. Il les a aussi emmenés à Monte Carlo pour un week-end prolongé de rêve où ils sont arrivés en jet privé, ont pu s'adonner à la conduite de voitures de sport, de ballades en hélicoptères et fêtes sur des yachts de luxe.
Pourtant, la folle ambiance des débuts n'est plus car Mojanc a déménagé dans des locaux plus luxueux dans lesquels les trois dirigeants ont leur propre bureau, séparé du reste des employés.
En parallèle, une certaine frustration commence à poindre face aux joueurs qui ne cessent de se plaindre avec des remarques parfois fort désobligeantes et Notch supporte de moins en moins ces critiques régulières et parfois véhémentes.
Au début de l'année 2014, les ventes du jeu sont estimées en moyenne à 11 000 copies par jour et 27 000 messages sont échangés chaque jour sur les forums officiels Minecraft. A partir du mois d'avril 2014, des serveurs sont mis en place par Mojang pour permettre que l'on joue en réseau à Minecraft. Cette évolution va être le déclencheur d'un tournant.
Durant le mois de juin 2014, Markus "Notch" Persson affronte un concert de messages hostiles. Il se trouve que Mojang a modifié certains aspects du jeu en ligne et qu'il faut désormais mettre la main au portefeuille pour avoir accès à certaines caractéristiques.
Dans une F.A.Q, l'un des responsables de Mojang s'en est expliqué :
" Gérer un serveur peut être coûteux. Nous voulons donc donner aux hôtes une manière de couvrir leurs frais. Dans le même temps, nous ne souhaitons pas que nos joueurs soient exploités ou que leur expérience soit frustrante s'ils ne payent pas. Nous avons donc édicté un certain nombre de règles en ce sens. "
La liste de ces règles est énoncée. Elles autorisent ceux qui hébergent des serveurs Minecraft à faire payer les joueurs, accepter des donations ou des publicités, ou encore de vendre certains articles.
Devant le concert de plaintes, Persson est exténué. Le 17 juin 2014, dans un tweet, il lâche qu'il n'en peut plus et veut aller de l'avant, dans sa vie personnelle.
" Quelqu'un serait-il intéressé à acquérir mes parts dans Mojang afin que je puisse passer à autre choses ? Récolter de la haine pour avoir voulu faire ce qui est bien, ce n'est pas truc. "
Presque aussitôt, Persson reçoit un appel de Microsoft lui demandant si c'est du sérieux. Electronic Arts et Activision proposent à leur tour un rachat de Mojang…
Depuis plusieurs mois, Johan Hanke est en quête d'une propriété intellectuelle qu'il puisse associer à Ingress. Il a notamment pensé à Donkey Kong et Super Mario mais le nom de Pokémon a parfois été évoqué. L'opportunité va être facilitée par l'idée d'un poisson d'avril.
Il se trouve que Google aime peaufiner ses poissons d'avril. Or, un développeur de la division Google Maps à Tokyo, Tatsuo Nomura, propose de combiner Pokémon et Google Maps pour l'occasion.
Nomura en touche un mot à Tsunekazu Ishihara, qui est devenu PDG de The Pokémon Company - le hasard veut que cette société se trouve dans le même complexe de bureaux que Google Japon. Ishihara est emballé par la perspective de marier les Pokémon avec Google Maps.
Pour le 1er avril 2014, Google annonce ainsi qu'elle lance le recrutement de Pokémon Masters. L'objectif : capturer des Pokémon sauvages dans des coins aussi divers que la Tour Eiffeil, l'Arc de Triomphe, l'Élysée, Monaco, et autres lieux mythiques du monde entier… Ce mariage de Pokémon Challenge et de Google Maps remporte un réel succès.
De là à aller plus loin, pourquoi pas ?
" Pokémon a été l'idée qui nous a semblé évidente à tous, étant donnée la structure du jeu, étant donné que l'objectif est d'attraper des Pokémon, " rapporte Hanke.
" Capturer des Pokémon dans le monde réel semblait super naturel. Il suffisait de remplacer le Pokédex par un téléphone mobile "
En mai un rendez-vous s'ensuit à la Pokémon Company. Durant le meeting organisé en mai entre John Hanke et Tsunekazu Ishihara, ce dernier révèle qu'il est lui-même un joueur acharné de Ingress. Il est donc en mesure de comprendre instantanément quelle pourrait opportunité pourrait être tirée d'un jeu mobile impliquant Pikachu et ses confrères.
" Lorsque j'ai rencontré M. Ishihara, le PDG de The Pokémon Company, j'ai découvert qu'il était au niveau 11 à Ingress, autant dire qu'il était un gros joueur ! Et sa femme était également un agent Ingress de haut niveau. Donc, ils jouaient ensemble, beaucoup d'employés de The Pokémon Company étaient des joueurs Ingress ! Alors quand nous avons évoqué l'idée d'un jeu Pokémon basé sur le concept que nous avions intégré à Ingress, l'accueil a été positif. Voilà comment tout a commencé ! "
Très vite, Satoru Iwata, le PDG de Nintendo, accorde son aval. Le développement démarre durant l'été et il est convenu que les revenus du jeu seront partagés avec Pokémon Co et Nintendo.
Junichi Masuda, programmeur du tout premier jeu Pokémon est invité à participer à l'opération.
" Ce fut une contribution inestimable pour nous, il nous a donné beaucoup de feedback et a aidé à créer une expérience qui soit juste envers l'univers Pokémon, " rapporte Hanke.
Le fruit des quatre années consacrées à l'épanouissement de Ingress est aisément transposé dans l'univers des Pokémon.
Les plus populaires des portails deviennent des Pokéstop.
Certains des lieux vont devenirs des arènes de combat.
Une fois de plus un critère s'impose : ces lieux doivent être sûrs pour les piétons.
Si Hanke voit d'un bon œil l'arrivée d'une telle application, c'est aussi parce qu'un grand nombre des employés de Niantic sont des parents qui comme lui-même, sont inquiets de voir leurs rejetons passer trois heures dans leur chambre devant un écran. Jusqu'à présent, s'ils sortent c'est au mieux pour faire du sport, au pire, pour se retrouver à nouveau dans le noir au cinéma.
Pokémon Go va leur offrir une autre raison d'aller dehors.
Durant l'été, Carl Manneh, le PDG de Mojang demande à rencontrer Jens Bergensen, le programmeur aux allures de hippie qui a pris en charge le développement de Minecraft depuis 2011.
Manneh dévoile alors à Bergensen que Notch, Jakob Porser et lui-même ont décidé de vendre Mojang à Microsoft ! L'annonce le laisse désemparé. Pendant des années, Markus Persson lui a dit qu'ils n'étaient pas là pour faire de l'argent. Ils créaient des jeux pour la simple et la bonne raison que c'était 'fun'.
Bergensen demande à pouvoir en parler avec Notch. Ce dernier se montre calme mais déterminé. Avant tout, Markus Persson n'en peut plus. Il a besoin d'un break. Persson est pleinement conscient des accusations de trahison qui vont pleuvoir à l'annonce du deal : 'il a abandonné ses idéaux pour une montagne de cash', etc. Il a d'ailleurs envisagé de se couper d'Internet le temps que la fièvre retombe.
Le plus dur pour Bergensen, c'est qu'il a été mis dans la confidence mais qu'il lui est demandé de ne pas en toucher mot à ses collègues. A présent, il doit s'asseoir au bureau au milieu de ses amis et faire comme si de rien n'était. Il vit particulièrement mal ce moment.
Le 10 septembre, Forbes vend la mèche. Âgé de 35 ans, Markus Persson serait en passe de devenir milliardaire suite à l'acquisition présumée de Mojang par Microsoft. Le magazine financier fait état d'un montant de 2 milliards de dollars.
L'article indique que Persson détient 71 % des parts de la société, tandis que Jakob Porser en possède 21 % et Carl Manneh 8 %. Forbes estime donc que si le deal est confirmé, Persson s'en tirerait avec 1,4 milliards de dollars. En d'autres termes, il rejoindrait le cercle très restreint des milliardaires du jeu vidéo qui compte notamment Gabe Newell de Valve et Mark Pincus, le fondateur de Zynga, qui édite des jeux sur Facebook.
A cette époque, Minecraft s'est déjà écoulé à 54 millions d'exemplaires. Il est présent sur la plupart des plates-formes : ordinateurs, consoles, téléphones mobiles… Et l'on évoque 100 millions de téléchargements depuis le Web, ce qui en ferait l'un des plus gros succès de tous les temps.
Le 15 septembre 2014, Microsoft rend publique son intention d'acquérir Mojang pour 2,5 milliards de dollars.
Le même jour, Markus "Notch" Persson, publie officiellement une lettre annonçant son départ :
"Je quitte Mojang."
Je ne me considère pas réellement comme un développeur de jeux. Je crée des jeux parce que cela m'amuse, que j'adore les jeux et que j'adore programmer. Pourtant, je ne les crée pas avec l'intention d'en faire des hits gigantesques et je ne cherche pas à changer le monde.
Minecraft est devenu un succès légendaire et certains me disent qu'il a changé l'univers du jeu. Ce n'était pas intentionnel de ma part. Certainement, c'est flatteur et puis, se retrouver sur le devant de la scène a son intérêt.
Il y a un moment déjà, j'ai décidé de rétrograder dans l'organigramme de Minecraft, et Jens Bergensen était la personne parfaite pour prendre la direction du développement. Pour ma part, j'ai expérimenté de nouveaux prototypes. Des gens m'ont fait savoir que j'étais important pour la culture Minecraft et donc, je suis resté à bord.
J'étais à la maison avec un rhume il y a quelques semaines lorsqu'une vague de haine s'est déclenchée à mon sujet du changement des règles pour les serveurs Minecraft. Je n'avais rien à voir avec cela et cela m'a troublé.
Je suis devenu un symbole et je ne veux pas être un symbole. Responsable de quelque chose que je ne comprends pas, que je ne souhaite pas développer et qui continue de revenir vers moi. Je ne suis pas un entrepreneur ou un PDG. Juste un programmeur qui aime balancer ses opinions sur Twitter.
Dès la fin du deal, je vais quitter Mojang. Si jamais l'une de mes créations attire une attention trop forte, il est probable que je l'abandonnerais aussitôt.
Etant donné que mon image publique est déjà altérée, je ne m'attends pas à m'en tirer sans quelques commentaires négatifs, mais au moins, je ne me sentirais pas tenu de les lire.
Je vous aime tous. Merci d'avoir fait de Minecraft ce qu'il est devenu. Mais vous êtes trop nombreux et je ne peux assumer la responsabilité de quelque chose d'aussi énorme. A présent, cela appartient à Microsoft. A plus grande échelle, cela vous a appartenu à tous durant longtemps et cela ne changera jamais.
Je ne fais pas cela pour l'argent, mais pour ma santé d'esprit. "
En interne, la nouvelle du rachat est vécue avec consternation. Ce qui déstabilise encore davantage les employés, c'est que Persson, Porser et Manneh ont indiqué qu'ils quittaient immédiatement Mojang, laissant le nouvel acquéreur prendre le contrôle.
Microsoft, pour sa part, est inquiet de voir partir les créatifs de Mojang une fois l'annonce effectuée.
Il a donc été décidé de leur faire une offre de 2 millions de couronnes suédoises s'il s'engagent à demeurer chez Mojang durant au moins six mois. Un seul d'entre eux déclinera l'offre.
Le 5 novembre 2014, un jour avant l'arrivée de Microsoft, Markus Persson passe son dernier jour chez Mojang.
Au moment où il quitte les lieux, il hésite un instant : doit-il aller dire au revoir aux employés encore présent ?
Il finit par y renoncer et passe la porte sans se retourner.
Chez Niantic, le développement de Pokémon Go se poursuit. La division jeu vidéo de Google compte une douzaine d'employés au début de l'année 2015.
Or, le 10 août 2015, Google connaît une réorganisation majeure et va jusqu'à rebaptiser une partie de son activité sous le nom d'Alphabet. La question se pose assez vite : que faire du studio de jeu vidéo ? L'idée d'une vente est suggérée.
Hanke effectue la danse du ventre devant de nombreux investisseurs en capital-risque mais aucun ne semble convaincu des potentiels de Niantic. Pokémon Go serait-il menacé ?
Finalement, en octobre 2015, John Hanke réussit à lever 35 millions de dollars auprès d'un cocktail d'investisseurs réunissant Google, Nintendo, Pokemon Co et aussi quelques business angels tels que le britannique David Jones qui ne tardera pas à se frotter les mains. Commentaire de l'intéressé :
" Hanke est un visionnaire parce qu'il ne se contente pas de comprendre vers où va le futur, il crée les choses qui vont changer ce futur. "
Niantic est officiellement détaché de Google mais celle-ci conserve 30% de parts dans la start-up.
Si Hanke n'est pas mécontent de voir Niantic évoluer en solo, c'est en partie parce que lui-même habite à Berkeley de l'autre côté de la baie de San Francisco, ce qui l'oblige à prendre le bateau chaque matin pour se rendre chez Google. A présent, il va pouvoir opérer dans sa ville et d'ailleurs, tester Pokémon Go va l'aider à découvrir son quartier. " Toute l'idée est de pouvoir marcher, de ralentir un peu et redécouvrir les endroits où l'on habite. "
Hanke veille à intégrer dans Pokémon Go les fameuses guildes qu'il a tant appréciées dans Meridian 59 ou encore les groupes qui se sont formés pour coopérer dans la collecte du XM dans Ingress. Elles sont ici au nombre de trois, Mystic, Instinct et Valor.
" L'organisation sociale est exactement la même que dans Ingress. C'est le monde réel. Au lieu de se retrouver avec une bande d'avatars dans une guilde virtuelle, vous allez vous retrouver avec vos amis, vous rencontrer à un certain endroit de la ville et partir ensemble. Le jeu fusionne avec la vraie vie, ce qui le rend infiniment plus intéressant que ce qui se passe dans un espace virtuel. "
Un an après avoir vendu Mojang à Microsoft, Markus Persson laisse transparaître, au travers d'une série de tweets, qu'il a le blues.
Pour la coquète somme de 70 millions de dollars, il s'est offert une demeure de star à Beverley Hills avec pas moins de 8 chambres à coucher et 15 salles de bains, une piscine avec vue panoramique sur Los Angeles et aussi une réplique parfait de la moto de James Dean. Il a donné de nombreuses fêtes auxquelles ont assisté des célébrités telles que Selena Gomez, Tony Hawk ou Skrillex.
Pourtant, dans ses tweets, il manifeste une humeur maussade.
" Le problème, quand on a tout, c'est que vous ne trouvez plus de raisons d'essayer. Et les interactions humaines deviennent impossibles à cause du déséquilibre. "
" Je glande à Ibiza avec des amis et fais la fête avec des gens célèbres, je peux faire tout ce qui me plaît et pourtant, je ne me suis jamais senti si isolé. "
La douce et tendre Elen l'a quitté, ne souhaitant pas partager cette existence qui ne lui ressemble pas. Comme l'explique Notch :
" J'avais rencontré une fille très bien, mais elle a peur de moi et de mon style de vie. Elle a préféré partir avec un type normal. "
" Les gens qui ont connu un succès soudain me disent que c'est normal et que cela passera. C'est bon à savoir ! Je crois que je vais prendre une douche… "
Le 7 février 2016, lors de la diffusion du Super Bowl, l'émission la plus regardée aux USA, Nintendo s'offre une publicité de 30 secondes pour fêter les 20 ans de Pokémon. Ce n'est qu'un avant-goût ce qui va suivre.
Pokémon Go est lancé le 6 juillet 2016 dans 37 pays.
Pour un raz-de-marée, c'en est un. C'est la première fois qu'une application de réalité augmentée, exploitant le GPS du smartphone pour superposer des images sur le réel, touche un public si large et ce public est instantanément conquis.
Au bout d'une semaine, Apple fait savoir qu'aucune app n'a jamais connu autant de téléchargements à ce jour. Le site App Annie va jusqu'à prétendre qu'un américain sur 10 jouerait quotidiennement à Pokémon Go !
" Pokémon Go a clairement explosé nos attentes. Devenir en un jour à la fois la première application gratuite et la plus lucrative était complètement inattendu. Incroyable ! " reconnaît John Hanke.
Les téléchargements et les applications en usage sont si nombreux que les serveurs ont du mal à suivre - le trafic est 50 fois plus important que prévu. Le jeu rapporte plus de 6 millions de dollars par jour aux USA par le seul biais des achats prévus dans l'app.
Et les analystes se laissent aller à prédire que Niantic pourrait engranger 6 milliards de dollars dans les 12 prochains mois. Début septembre, 440 millions de dollars ont déjà été dépensés en achats 'in-game' par les chasseurs de Pokémon.
Certes on note des incidents ici et là. Il est arrivé que des joueurs ayant le nez collé sur leur iPhone ne fassent pas suffisamment attention à ce qui se passait autour d'eux. On évoque des accidents de voiture de pilotes distraits par la recherche de leurs Pokémon. On raconte que deux joueurs sont tombés d'une falaise. Pour éviter toute dérive, Niantic affiche un message en début de jeu conseillant de rester attentif à ce qui se trouve alentour.
Par ailleurs, si les parcs et centres commerciaux ont souvent la fonction de Pokéstop, un grand nombre d'églises figurent parmi ces points et il n'est pas toujours heureux qu'elles subissent la ruée de joueurs.
Commentaire de Hanke :
" Dans nos règles, il faut que les bâtiments soient remarquables et accessibles publiquement. Alors oui, je suis au courant que nous avons un certain nombre d'églises, de temples variés…. De temps à autre, nous avons une demande de la part d'une société ou d'une institution de ne pas être un PokéStop. Nous honorons alors ces demandes. "
A Sydney en Australie, la mairie doit se battre pour l'un de ses parcs soit exclu, évitant ainsi l'invasion quotidienne de chasseurs de Pokémon. Niantic s'applique à supprimer de tels Pokéstops lorsque la demande vient d'un maire ou d'associations locales. Hanke fait tout de même remarquer qu'il y a là une opportunité de mieux faire connaître des monuments ou attractions négligées.
" Il existe un grand nombre de parcs que les gens n'utilisent plus car ils se contentent de rentrer à la maison, de fermer la porte et d'allumer le téléviseur.
De nombreuses stars confessent sur leur Twitter qu'elles jouent à Pokémon Go et Justin Bieber, pour sa part, est surpris avec son smartphone en main dans Central Park à New York. Hillary Clinton s'autorise une blague sur le jeu durant sa campagne présidentielle. Un reporter se fait réprimander du fait qu'il est surpris à jouer à Pokémon Go durant un briefing du Département d'Etat.
Par la force des choses, certains médias s'interrogent : qu'est ce qui peut pousser ainsi des adultes à organiser l'équivalent de battues en forêt à une heure avancée de la nuit ? Les intéressés ont beau jeu d'expliquer que c'est amusant et enrichissant avec des remarques du type :
"ce jeu a changé ma vie",
"j'ai rencontré des tas de gens",
" je vois le monde totalement différemment "
ou mieux encore :
"j'avais l'habitude de rentrer à domicile et de m'affaler devant le téléviseur. Aujourd'hui je marche 5 kilomètres par jour".
On aurait tout de même parfois envie de dire aux membres de ces médias : pourquoi n'essayes-tu pas ?
Dixit Hanke qui a souhaité depuis longtemps amener ses contemporains à sortir de chez eux et briser la glace :
" Le but de Niantic est de faire sortir les gens de leur maison et de les encourager à faire de l'exercice en sortant du salon et en allant se promener dans les environs… Les gens sortent, découvrent de nouveaux endroits, se font de nouveaux amis, discutent, jouent avec leurs amis dans le monde réel, c'est incroyable de voir ça. "
Hanke estime aussi que ses jeux peuvent améliorer la santé de leurs usagers. Lui-même se voit parfois affublé d'un qualificatif ô combien flatteur : il serait le prochain Steve Jobs…
En 2016, Minecraft a dépassé les 106 millions d'exemplaires vendus, ce qui en fait le jeu PC le plus vendu de tous les temps. En juin 2016, Microsoft évoquait des ventes moyennes de 53 000 copies par jour. 4 copies ont même été vendu dans un lieu très faiblement peuplé : l'Antarctique… En mai 2017, après la sortie de la Switch, Minecraft s'est classé n°2 des jeux les plus vendus pour la nouvelle console de Nintendo.
Pokémon Go ne connaît plus la même frénésie qu'à son lancement mais en juillet 2017, selon App Annie, il s'agissait encore d'une activité à un milliard de dollars, avec des dizaines de millions d'usagers qui y jouent au moins une fois par mois. App Annie estimait donc qu'en comptant ces utilisateurs actifs mensuels, Pokémon Go serait toujours le premier jeu mobile - battant Angry Birds et Candy Crush Saga - dans de nombreux pays.
En intégrant notre vie quotidienne dans un jeu vidéo, Pokémon Go a montré une voie dont on peine à imaginer les limites et qui devrait marquer notre siècle.
Une fois de plus, tout ne fait encore que commencer…
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