Dictionnaire des instruments de musique

Daniel Ichbiah

Librio (2003)

Plus de 24 000 exemplaires vendus

Le pouvoir de communication des instruments est sans pareil...

Quelques notes de piano soutenues par une contrebasse chaleureuse vont suffire à installer l'ambiance d'un dîner. Un riff de guitare ravageur va faire jaillir au grand jour une hargne et un appêtit de vivre qui ne demandaient qu'à éclater. Un soupir de saxophone va induire une langoureuse mélancolie tandis que le frottement des cordes de la harpe fera tutoyer les nuages. Que l'on soit de Toulouse, de Tokyo ou de Calcutta, ce langage parallèle va pareillement faire vibrer les êtres au-delà des mots et des références culturelles.

S'ils relèvent, de par leur capacité expressive, d'une essence différente des objets usuels, les instruments présentent quelques traits caractéristiques. Ils ont ainsi pu être organisés en catégories : claviers, cordes, cuivres, bois, percussions

Les instruments ont une histoire qui est contée ici. L'élaboration de la plupart d'entre eux jusqu'à sa forme finale, s'est échelonée sur plusieurs millénaires. La finesse des matériaux utilisés, la façon de les tailler ou de les assembler, le type de cordes et de mécaniques ont fait l'objet de recherches approfondies, faisant apparaître à chaque fois une même quête, celle d'une expression particulière de la beauté acoustique.

Bien souvent, chaque instrument a eu son luthier d'exception, parvenant une formule magique jalousement conservée. Les guitares acoustiques fabriquées par Martin, les rarissimes violons réalisés par le luthier Stradivarius, les orgues B3 de Hammond ont répondu à une même ambition de frôler un absolu. Il est vrai que les instruments ouvrent une porte vers un autre univers, celui d'une expression qui transcende le réel.

Plus que jamais, l'époque est propice à une meilleure découverte de ces éléments de l'orchestration, car ils ont récemment acquis, une double émancipation. La plupart des instruments que nous connaissons aujourd'hui ont vu leur forme s'achever dès le 19ème siècle et les genres musicaux qu'ils avaient suscité (classique, jazz, musique populaire…) amenaient les compositeurs à marier les timbres à l'intérieur de styles relativement cloisonnés. Par la force des choses, ils mettaient naturellement en valeur ceux que l'on entendait le plus par leur volume propre ou par leur clarté dans une fréquence telle que les aigus.

Le 20ème siècle a changé la donne en plaçant chaque instrument sur un pied d'égalité, grâce la fée Electricité qui a introduit l'amplification. Il a ainsi donné une chance à la guitare, longtemps si discrète, de se faire entendre, quitte à ce qu'elle prenne une revanche en terme de décibels. Le piano a pareillement vu son rôle grandir dans les musiques rythmiques, pouvant tenir tête aux percussionnistes des formations de salsa. Le second apport essentiel du siècle révolu a consisté en un drôle d'instrument capable d'imiter tous les autres - et aussi d'imaginer les timbres les plus divers : le synthétiseur. A partir d'un tel même clavier, les explorations sonores se sont diversifiées.

Ces mutations ont influencé les créateurs plus récents, des Beatles jusqu'à Massive Attack en passant par Peter Gabriel, qui ont aboli les frontières et considéré les instruments comme une immense palette au service du compositeur. Il en est ressorti des musiques d'un goût nouveau, enrichis des apports émotionnels propres à chaque instrument.

Mais au final, d'où vient le pouvoir expressif si particulier d'un violon, d'une flûte de Pan ou d'un sitar indien ? En parcourant ces pages, vous comprendrez mieux la spécificité de chacun et cette connaissance rendra plus exquise encore l'écoute des morceaux où interviennent ces messagers d'une autre dimension.

Quelques extraits du Dictionnaire des Instruments de Musique

Clarinette

"Claire et nette"… Tel pourrait être l'étymologie du mot. Dans les faits, il est dérivé du provençal "clarin" qui signifie hautbois, la racine "clar" voulant toutefois bel et bien dire clair. Ce qui est certain, c'est que la clarinette a le don d'égayer l'atmosphère tant elle dégage un timbre débonnaire et chaleureux. La forme de la clarinette est proche de celle du hautbois avec pour différence principale la présence après le bec, d'un barillet qui permet de modifier la hauteur du son. Sa anche est simple, constituée d'un morceau de roseau. L'instrument est disponible sous diverses tonalités, mais le plus répandu est accordé en si bémol.

Apparue lors de la période classique, elle a été inventée à Nuremberg par Jean Christophe Denner (1655 - 1707) qui a fait évoluer un instrument plus ancien, le chalumeau, sorte de flûte ancienne à huit trous. Denner a percé un trou supplémentaire qui a étendu le registre de l'instrument dans les aïgus et l'a doté d'un pavillon et de deux clés (un nombre qui va augmenter au fil des années). Appréciée des compositeurs classiques, la clarinette est ainsi devenue l'instrument à vent ayant la tessiture la plus large., couvrant un registre situé entre les hauts (la flûte et le hautbois) et les bas (les bassons) de la famille des bois. Elle a inspiré à Wolfgang Amadeus Mozart son sublime Quintette pour clarinette en la majeur (1791), un concerto qui fait majestueusement honneur à la subtilité expressive de l'instrument. Carl Maria von Weber a composé l'un des thèmes pour clarinette les plus célèbres dans son Concerto pour clarinette n°1 en Fa mineur.

En 1840, le français Auguste Buffet lui a ajouté un système de clés analogue à celui de la flûte. Tchaïkovski l'a alors mise en valeur dans Casse Noisette tandis que Robert Schuman lui a fait interpréter la mélodie de son trio Märchenerzählungen. Les musiciens de jazz ont adopté avec enthousiasme cet instrument au timbre convivial. Benny Goodman et Sidney Bechet signent des pièces célèbres, telles Petite fleur pour le second.

Contrebasse

Instrument le plus grave et aussi le plus volumineux de la famille des cordes (une octave plus bas que le violoncelle), la contrebasse s'étale sur près de un mètre quatre vingt dix, obligeant le musicien à jouer debout ou bien encore perché sur un haut tabouret. Le modèle le plus grand recensé est apparu en 1889 et mesurait 4,90 mètres ! La contrebasse est apparue en Allemagne vers 1568 et n'a pas tout de suite eu 4 cordes - elle en a parfois eu 5 et parfois 6.

C'est vers le milieu du 18ème siècle que la contrebasse a intégré définitivement l'orchestre, Haydn l'ayant mis particulièrement en évidence dans certains concertos qu'il a réalisés. Un siècle plus tard, Gustav Mahler ou Richard Strauss donneront à la contrebasse le rôle de soliste. Au 20ème siècle, les musiciens de jazz l'ont adopté, en mode pizzicato ou "corde pincée", pour mieux marquer le temps avec impact. Dans les premiers orchestres de jazz de la Nouvelle Orléans, l'instrument était d'abord joué de façon traditionnelle, avec un archet. Mais la légende veut qu'en 1911, durant un concert, un contrebassiste de l'Original Creole Band aurait cassé son archet et aurait terminé sa prestation en jouant avec les doigts. La pratique aurait alors été adoptée car l'instrument fournissait ainsi une formidable assise rythmique ! Par la suite, Jimmy Blanton, qui assurait la contrebasse dans l'orchestre de Duke Ellington, l'a amené à jouer en solo.

Au niveau de la lutherie, la structure de la contrebasse est analogue à celle du violon.

Glockenspiel

Délicieux… Le son du glockenspiel évoque l'ambiance d'une fête foraine ou d'une séance de patinage artistique. Son aspect rappelle fortement celui du xylophone, car il dispose de lames que l'on frappe avec des maillets, et sous lesquelles peuvent se trouver des résonnateurs. Mais son timbre est plus enfantin et distinctif. Il sera aisé de faire ressortir une mélodie jouée au glockenspiel sur un fond orchestral quelconque. Le glockenspiel appartient à la famille des "idiophones de métal", soit des instruments de percussion engendrant leur son au moyen du métal, à l'instar du triangle ou du gong.

Koto

Le son du koto est délicieux et ses mélodies évoquent inévitablement le Japon, où il est l'un des principaux instruments. Proche d'une cithare, il est le plus souvent composé de 13 cordes étirées sur un corps rectangulaire très long (jusqu'à 2 mètres).

Le koto joué avec des plectres portés sur les doigts et sur le puoce. Il est apparu au Japon vers le 6ème siècle, mais aurait auparavant été connu des chinois et des coréens. La musique composée spécifiquement pour le koto, le sôkyoku, est apparu au 17ème siècle. Il est à noter que durant plus de deux siècles de l'histoire japonaise, seul les aveugles avaient le droit d'en jouer de façon professionnelle.

Orgue

Sa sonorité majestueuse et aérienne a fait de l'orgue l'instrument de prédilection des lieux de rassemblements religieux. Certains modèles, tels ceux installés dans les cathédrales sont de taille monumentale avec d'imposants tuyaux verticaux. Lorsque l'organiste frappe sur une touche du clavier, de l'air circule dans des colonnes verticales, produisant ce timbre céleste et propice au recueillement. En fonction des époques, la provenance de cet air a été diverse : pression hydraulique, soufflet, ventilateur électrique… De fait, peu d'instruments ont connu d'évolutions aussi variées.

L'apparition de l'orgue remonte à l'année 246 avant J.C., dans la ville d'Alexandrie. Un inventeur, Ctésibios, avait construit une étrange machine à faire de la musique à partir de flux d'eau, utilisant des pompes, des contrepoids, des soupapes et pistons, reliés à une dizaine d'aulos (instrument à vent), d'où son nom, l'hydrolaus. Cet instrument connaîtra une grande renommée dans les pays alentours, avec des concours d'hydrolaus organisés en Grèce. Lors d'un séjour en Asie mineure en 78 avant J.C., Cicéron s'extasie sur les sonorités de l'hydrolaus qu'il compare à une "délicate friandise" et l'instrument fait son entrée à Rome où il s'imposera cent ans plus tard comme un objet de luxe indispensable pour les festivités. Un nouveau métier apparaît ainsi en occident, l'organier ou fabricant d'orgue. Le système hydraulique est progressivement abandonné au profit de soufflets de forgerons.

Il faut attendre le début du 13ème siècle pour qu'un clavier de deux octates soit associé à l'instrument. Par la suite, le nombre de clavier et de touches ne va cesser de croître, tandis que l'Église adopte l'instrument pour ses lieux de dévotion. Le premier recueil pour orgue publié remonte à 1512 et concerne des œuvres de l'organiste Arnolt Schlick. C'est au cours de la période musicale dite "baroque" (de 1 600 à 1 750) que le répertoire musical de l'orgue prend de l'ampleur. Plus que tout autre, Jean Sébastien Bach se fait d'abord connaître pour ses extraordinaires dons en tant qu'organiste. Il se disait que "ses mains volaient sur le clavier". Durant sa vie, il jouera sur plus de cinquante orgues différents et composera d'innombrables pièces. D'autres compositeurs de l'époque baroque, Dietrich Buxtehude et Johann Pachelbel écrivent des pièces mémorables pour l'orgue. En revanche, l'instrument, de par son encombrement, est rarement intégré dans l'orchestre et demeure avant tout associé à l'atmosphère des églises.

Si Haendel et ses contemporains de la première moitié du 18ème siècle composent plusieurs pièces impliquant la présence d'un orgue, l'instrument peine à trouver sa place dans les formations de musique classique. Au cours de la période romantique, il trouve la faveur de certains compositeurs, surtout en Italie, avec des oeuvres de Verdi, Rossini et Bellini mais elles sont le plus souvent destinées à une exécution dans les églises. Sous l'impulsion de César Franck, le facteur A. Cavaillé a augmenté la puissance des souffleries et le nombre de claviers, amenant l'orgue à pouvoir rivaliser seul avec un orchestre complet.

Orgue électrique/électronique

Il est apparu en 1935 aux Etats-Unis, inventé par Laurens Hammond dont la firme va produire les modèles les plus célèbres. Contrairement à leur modèle, les orgues Hammond n'utilisent pas le principe de la vibration de l'air dans une colonne pour produire ses timbres mais des circuits électriques afin de produire un timbre analogue à celui de l'orgue et l'amplifier.

En 1937, la Allen Organ Company a inventé le premier orgue totalement électronique. Les musiciens de jazz et de rock ont allègrement adopté ces instruments chaleureux qui favorisent de puissants solos ou des "nappes" orchestrales qui installent un climat spacial tout en profondeur et plénitude.

L'orgue B3 de Hammond est entré dans la légende, au travers de maints hits de musique pop : When a man loves a woman de Percy Sledge (1966), Whiter Shade of Pale de Procol Harum (1967). Quelques années plus tôt, l'organiste de jazz Jimmy Smith avait exploité ses capacités expressives et rythmiques dans des pièces telles que Organ Grinder Swing.

Steel drum

De tous les instruments existants, c'est l'un des plus originaux. Il dégage une sonorité "aqueuse", estivale, qui se rapproche des xylophones, tout en ayant une pâte totalement unique. Le steel drum (littéralement "tambour d'acier") a pris naissance de manière assez aléatoire dans une île des Antilles, Trinidad.

C'est aux alentours des années 30 que des orchestres de rue ont commencé à utiliser spontanément divers objets métalliques (pièces de voitures, couvercles de poubelles, boîtes de conserves, casseroles) pour marquer le rythme lors des carnavals et fêtes populaires. Ils formaient ainsi ce que l'on appelait des "steel bands" (orchestres jouant sur des instruments de métal). Or, dans la banlieue de Laventille, vers 1943, un jeune garçon de 12 ans, Winston Spree Simon avait prêté à un ami sa timbale de fer. Comme celle qui lui avait été rendue avait été emboutie, elle avait perdu sa tonalité de base. Simon s'était mis à marteler l'objet afin d'en restituer la forme d'origine. Il avait alors découvert que ses martèlements pouvaient provoquer des notes différentes. Il avait alors créé un premier instrument, le ping pong, capable de produire quatre notes.

Trois ans plus tard, Simon choisit de fabriquer un modèle plus sophistiqué, en martelant un baril de pétrole. Il obtint le "pan" un instrument capable de produire 14 notes différentes. Le "pan" fit sensation lors du premier carnaval organisé à Trinidad et il connut alors maintes déclinaisons spontanées. Un ami de Simon, Ellie Manette, sculpta un "pan" plus évolué à partir d'un baril de pétrol de 55 gallons (208 litres), chauffa le métal et obtint un instrument capable de produire 2 octaves de la gamme diatonique (incluant les demi-tons). Il créa ainsi le modèle du steel drum en 1947. Dès 1951, la musique des steel bands allait s'exporter dans le monde entier, à la faveur d'un festival organisé à Londres et auquel participèrent Simon et Manette.

Une véritable culture s'est développé autour du steel drum et des formations jouant de cet instrument. Si les orchestres comportent généralement de quatre à dix musiciens, ils peuvent aller jusqu'à trois cent steel drums, accordés selon diverses tonalités plus ou moins graves ou aiguës. Certains vont jusqu'à interpréter des pièces classiques apprises par cœur car la plupart des musiciens ne savent pas lire des partitions ! L'instrumentiste considéré comme le meilleur joueur de steel drum est Len "Boogie" Sharpe". Les musicologues estiment que le steel drum est le seul instrument acoustique qui ait été inventé au 20ème siècle.

Trombone

L'ample et profonde sonorité qui sort de son pavillon en impose et il est souvent utilisé dans des harmonies à trois voix pour exprimer les scènes héroïques. La coulisse du trombone peut occuper sept positions, qui modifient la longueur du tuyau et donc la note émise. Bien avant les autres cuivres, le trombone a été en mesure de produire toutes les notes de la gamme chromatique (les notes non altérées) et de fait, sa forme n'a quasiment pas bougé en cinq siècles.

Pour produire la sonorité du trombone, le musicien ne doit pas souffler dedans, mais produire une vibration au niveau des lèvres. Des sourdines sont souvent mises à contribution pour varier les timbres. L'instrument est né au quinzième siècle dans la cour du royaume d'Italie, à la faveur du mouvement artistique Renaissance qui suscitait l'apparition de nouveaux instruments. Il portait alors le nom de sacqueboute et les compositeurs se plaisent à l'intégrer dans leurs créations. Le sacqueboute a trouvé sa place dans les compositions religieuses (Gabrieli) ou lyriques (l'opéra Orféo de Monteverdi en 1604). Par la suite, son rôle est devenu plus secondaire.

La forme de l'instrument a évolué au 18ème avec un pavillon plus évasé; il est alors devenu le trombone. Mozart (Don Giovanni) comme Beethoven (Symphonies Pastorale et 9ème) ont pleinement exploité ses sonorités impériales. En 1940, Hector Berlioz, coutumier des spectacles à très grande échelle, les a répartis aux quatre coint cardinaux d'une église pour la représentation de Te Deum. Au 20ème siècle, l'instrument s'est imposé de manière naturelle dans les big bands de jazz, tandis que des compositeurs tels que Ravel (Boléro) ou Bernstein ont veillé à le mettre en avant. A partir des années 60, le trombone a trouvé sa place dans les formations de rythm'n'blues telles celle de James Brown.

Daniel Ichbiah site Web


Site Web de l'écrivain Daniel Ichbiah  

eBooks de Daniel Ichbiah
Documents de Daniel Ichbiah
 
Daniel Ichbiah a été deux fois n°1 du Classement Général des ventes
Avec :