Adam Neumann : la chute du fondateur de WeWork
Plus dure a été la chute.
Au début de l'année 2019, WeWork avait le vent en poupe.
Avec 47 milliards de dollars de valorisation, c'était la start-up la plus florissante des USA.
En juillet, Adam Neumann, son fondateur et PDG, préparait sa tournée des investisseurs, préalable à l'entrée en bourse (IPO) prévue pour septembre.
Hélas, cette annonce d'une entrée en Bourse a été l'occasion d'un coup de projecteur sur WeWork. Les milieux financiers se sont penchés sur les comptes de la société et ont découvert une situation plus qu'alarmante, des dépenses inconsidérées et des prévisions tout aussi préoccupantes.
La valorisation de WeWork a subi une franche dégringolade : entre 10 et 20 milliards.
Cette fois, les excès du flamboyant Adam Neuman ont achevé de lasser les milieux d'affaires.
WeWork a dû repousser son IPO et Adam Neumann a été poussé vers la sortie.
Comment expliquer un tel retournement de situation et quelles sont les conséquences pour l'économie américaines ?
Daniel Ichbiah
Du kibboutz à la startup
![Adam Neumann C-SPAN [Public domain]](wework/adam-neumann.jpg "Adam Neumann C-SPAN [Public domain]")
Adam Neumann a grandi dans un kibboutz en Israël. Après cinq ans à servir dans l'armée israélienne (dans la marine), Neumann est arrivé à New York en 2001. Il a suivi sa grande soeur arrivée quelques années plus tôt. Il s'est inscrit au Baruch College pour suivre des études de commerce. Pourtant, il dira lui-même lors d'une cérémonie de remise des diplômes :
A l'époque, ce qui m'intéressait avant tout était de
faire la fête.
Une attitude volontairement cool voire frondeuse, qu'il va continuer de cultiver par la suite.
Son diplôme en poche, Neumann rêve de succès entrepreneurial. Pourtant, ses premiers projets ne rencontrent qu'un succès mitigé - parmi eux des chaussures à talons hauts rétractables puis une gamme de vêtements renforcés aux genoux pour les enfants.
C'est à New York qu'il fait la connaissance de celle qui va devenir son épouse, Rebekah, cousine de l'actrice Gwyneth Paltrow.
"La première fois que je l'ai vu, même s'il était fauché, je pouvais voir qu'on allait créer ensemble quelque chose à grande échelle pour la planète?", a raconté Rebekah dans un podcast en 2018.
La bonne idée de Neumann
Un jour, le propriétaire qui loue des locaux à Adam Neuman lui fait visiter un immeuble de 5 étages d'une superficie de 465 m².
Adam Neumann a alors une intuition : pourquoi ne pas fragmenter les étages en petites surfaces dotées d'un design dans l'air du temps, et proposer des locaux à la carte ?
L'idée paraît excellente. Adam Neumann, Rebekah et McKelvey (un architecte de formation rencontré lors d'une soirée à New-York), décident de fonder une entreprise de sous-location d'espaces de coworking. Au lendemain de la crise de 2008, leur offre séduit un grand nombre d'entrepreneurs en quête de locaux abordables et d'un service flexible : la startup peut réduire l'espace loué à la superficie qui leur est nécessaire. Les 5 étages se remplissent et WeWork est lancé quelques mois plus tard.
A cette époque, Adam Neumann et son épouse Rebekah fréquentent un centre lié à la Kabbale (une branche mystique du judaïsme. Cette relation va être bénéfique : les dirigeants du centre le mettent en relation avec leur réseau de personnes fortunées (plus de détail dans les liens au bas de l'article).
La start-up peut compter sur le bagout et l'assurance de Neumann. D'une taille imposante (1,96 m), cet homme éloquent au look de surfer avec les cheveux dans le cou, grand amateur de tequila n'a aucun mal à persuader ses premiers investisseurs de la grandeur de sa vision. La presse fait volontiers l'écho du comportement fantasque du nouveau champion des jeunes pousses.
Montée en puissance
T. Rowe Price, Fidelity Investments… WeWork enchaîne les tours de table et lève des des centaines de millions de dollars. Il devient rapidement le n°1 du co-working.
En 2014, Adam Neumann s'assure un contrôle quasi intégrale de sa société avec des droits de vote jusqu'à 20 fois plus importants que ceux d'un actionnaire habituel.
Au fil des années, WeWork entre dans le club très restreint des " licornes "...
Licorne, décacorne, pentacorne
C'est Aileen Lee, fondatrice et responsable du fonds Cowboy Venture qui est à l'origine du terme " licorne ". En 2013, elle constate que seules 0.1 % des start-up (moins de 10 ans) de son portefeuille sont valorisées à plus de 1 milliard de $. Elle décide d'attibuer un nom à ces happy few: ce sont des licornes, un terme qui laisse entendre qu'il y aurait une part de surnaturel dans leur performance.
On dénombrait une quarantaine de licornes en 2013. Il y en aurait 290 aujourd'hui dont 31 qui ont vu le jour à la fin 2018.
En France, parmi les licornes figurent BlaBlaCar et Deezer.
On parle de " décacornes " pour les licornes valorisées à plus de 10 milliards comme :
- Airbnb
- Snapchat,
- Slack (messagerie collaborative instantanée valorisée à 15 milliards en avril 2019)
- Stripe (spécialisée dans les paiements en ligne), qui depuis septembre 2019 est valorisée à 35 milliards de dollars.
- Uber, mais aussi les chinois Didi Chuxing et ByteDance sont des " pentacornes ".
Entrée de Softbank dans WeWork
Durant l'été 2017, Neumann vient d'ouvrir son 200e site à Singapour, quand il est sollicité par Masayoshi Son.
Masayoshi Son est l'homme le plus riche du Japon. En 2015, Forbes l'a classé parmi les 100 premières fortunes mondiales. Il est à la tête du conglomérat Softbank
Son coup de maître est d'avoir misé sur la société chinoise Alibaba à la fin des années 90.
Masayoshi Son vient de lancer un méga fonds d'investissement de 100 milliards de dollars destinés aux start-ups, le Vision Fund.
Son sollicite une entrevue avec Neumann à New York. Il se déclare prêt à injecter 4,4 milliards de dollars dans WeWork.
L'entrée de Softbank dans le capital de WeWork engendre une expansion accélérée :
De 111 sites et 87.000 membres en 2016, WeWork passe à 425 sites et 400.000 membres en 2018.
Pourtant, à mesure que les projecteurs se braquent sur son fondateur, Adam Neumann commence à soulever bien des interrogations. Il se gave volontiers de phrases grandiloquentes :
Nous oeuvrons à construire communauté qui aide les gens à donner un sens à leur vie, une communauté composée de membres et pas seulement de locataires,
Notre mission est d'élever la conscience du monde,
Notre valorisation repose moins sur des multiples de revenus que sur notre énergie et notre spiritualité,
Il faut passer du me (moi) au we (nous).
Le prospectus d'entrée en Bourse
En janvier 2019, WeWork est la 1ère start-up américaine en terme de valorisation : 47 milliards de dollars.
Au vue d'une telle croissance, Softbank pousse WeWork à entrer en Bourse. Seulement voilà. Lors de sa publication mi-août, le prospectus de WeWork (dossier préalable à son entrée en Bourse) fait apparaître bien des fissures dans l'édifice.
- On y apprend que son chiffre d'affaires - 1,8 milliard de dollars en 2018 - est insuffisant pour contrebalancer ses pertes de 1,9 milliard de dollars; un déficit censé encore se creuser en 2019.
- La rentabilité n'est pas attendue avant l'horizon 2026, et pour cela, 20 milliards de dollars d'investissement seront nécessaires.
- Le business model est bancal. Les loyers ne sont pas garantis contre les impayés, car WeWork externalise les contrats de location. En d'autres termes, elle loue des locaux qu'elle sous-loue à ses clients.
- Neumann a empoché 700 millions de dollars en allégeant sa participation dans WeWork.
- Il s'est personnellement constitué un portefeuille immobilier grâce aux capitaux de WeWork, des immeubles qu'il a loué à sa propre société.
- Il a dépensé 6 millions de dollars pour trouver un nouveau nom au groupe (" We Company ").
L'introduction en Bourse (IPO) devait être célébrée le 16 septembre 2019. Softbank est contrainte d'annuler l'évènement.
La valorisation de WeWork s'écroule. Alors que la championne était capitalisée à hauteur de 47 milliards de dollars en janvier, il apparaît que ce chiffre serait tombé aux alentours de 15 milliards si l'IPO avait eu lieu !
Départ de Neumann
Le 24 septembre 2019, sous la pression de ses investisseurs Softbank, mais aussi de Benchmark Capital, Neumann est déchu de son poste directorial. Une semaine plus tard, l'introduction au Nasdaq est reportée de manière indéfini.
Adam Neumann qui détient encore son titre de président non-exécutif et ses actions négocie son retrait avec un chèque de départ de 1,7 milliard de dollars (1,54 milliard d'euros).
- 1 milliard de dollars pour la revente de ses titres,
- un crédit de 500 millions pour rembourser un prêt
- 185 autres millions en frais de conseil.
Adam Neumann qui s'envisageait comme "le premier homme à disposer d'une fortune supérieure à 1.000 milliards de dollars" annonce son départ dans un communiqué.
L'interim est assuré par le directeur financier du groupe, Artie Minson, et le vice-président Sebastian. Et leur mot d'ordre est clair : cure d'austérité.
Un plan de sauvetage désespéré
WeWork est au bord de la faillite, plombé par ses frais fixes exorbitants. Le 23 octobre, Softbank annonce un plan de sauvetage de près de 10 milliards de dollars qui implique une prise de contrôle, à hauteur de 80 %.
L'investisseur japonais a apporté 1,5 milliard de dollars et accepté de reprendre jusqu'à 3 milliards de dollars d'actions aux investisseurs actuels. La crédibilité de SoftBank lui permet par ailleurs d’emprunter jusqu’à 5 milliards de dollars additionnels.
Toutefois, le plan de restructuration de WeWork inclut la suppression de 4.000 postes - près de 30 % de ses effectifs, un retrait de marchés comme l'Amérique latine, l'Inde ou la Chine. Il apparaît bientôt que les indemnités de licenciement proposées aux employés ne sont pas bien généreuses. En échange d'un départ consenti, ils se voient proposer 3 mois de " garden leave " - congés payés - plus un mois de salaire converti en indemnités. En échange, ils doivent s'engager à ne pas se retourner contre WeWork et aussi à ne pas travailler pour une société concurrente.
Cela pourrait paraître peu, mais Softbank n'a pas le choix.
Pourtant, l'avenir de la société est toujours incertain. Les dépenses en coûts de location mais aussi dans l'acquisition de certaines technologies largement dépassé la croissance des revenus.
- La société a ouvert 97 nouveaux sites au cours du trimestre achevé le 30 septembre - sa plus grande expansion trimestrielle. Son nombre total de bureaux est passé de 528 à 625.
- Au niveau mondial, elle a étendu son nombre de sites à 127. Le nombre de pays dans lesquels elle est implantée est passé de 4 à 33, d'après Reuters.
- Les revenus de la société ont certes augmenté de 94 % en un an : 934 millions de dollars de juillet à septembre.
- Pourtant, au 2ème trimestre 2019, WeWork avait déjà enregistré 638 millions de dollars de pertes.
- Et la start-up jadis flamboyante a plus que doublé ses pertes au 3ème trimestre (1,25 milliard $).
- Selon Business Insider, sur les 15 prochaines années, WeWork devra débourser à ses propriétaires la somme plantureuse de 31 milliards d'euros, pour des locaux concentrés dans les quartiers d'affaires de grandes villes.
La crainte majeure serait qu'un écroulement de WeWork ait des répercussions analogues à celles qu'a pu entraîner la faillite de Lehmann Brothers, à une échelle plus réduite mais tout de même conséquente.
A New York, mais aussi à Londres et à Washington, WeWork est le plus gros locataire de bureaux. Fin 2018, l'entreprise disait occuper plus de 5,3 millions de mètres carrés dans Manhattan.
Si elle devait s'effondrer, l'impact serait majeur sur les marchés immobiliers.
Daniel Ichbiah
Interview radio sur l'histoire de WeWork
Quelques liens d'intérêt sur Adam Neumann et WeWork
Quel rôle a joué la Kabbale dans WeWork ?
L'Opinion - 17 octobre 2019
Le procureur général de l'État de New York ouvre une enquête sur WeWork
ZD Net - 19 novembre 2019
Daniel Ichbiah
![original:nobihaya, cropped:Puramyun31 [CC BY 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/2.0)]](wework/masayoshi-son.jpg "original:nobihaya, cropped:Puramyun31 [CC BY 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/2.0)]")
![Prime Minister's Office (GODL-India) [GODL-India (https://data.gov.in/sites/default/files/Gazette_Notification_OGDL.pdf)]](wework/adam-neumann2.jpg "Prime Minister's Office (GODL-India) [GODL-India (https://data.gov.in/sites/default/files/Gazette_Notification_OGDL.pdf)]")
