L'histoire de Google

Extraits

Ce texte est issu de trois sources différentes, dont je suis l'auteur.

  • 'Comment Google mangera le monde' publié fin 2006 puis en 2010 chez L'Archipel
  • 'Les Nouvelles Superpuissances' publié en septembre 2013 chez First
  • Un portrait de Sergey Brin et de Larry Page réalisé pour Tribune Juive en 2008.
  • Il a été publié dans le livre 'De Kennedy à Madonna' (2017)

    Big G

    Improvisons un radio trottoir et posons la question au quidam qui s’avance :

    - Pour vous, Google, c’est quoi au juste ?

    Tout comme la plupart des sondés, il nous répondra :

    - C’est un moteur de recherche.

    De temps à autre, un passant plus sûr de son fait se fera un plaisir de faire étalage de sa science :

    - C’est une édition de logiciels. Ils sont à la source de centaines de services : Google Earth, Google Actualités, Google Agenda… Ils sont propriétaires de Youtube depuis 2006. Ils ont développé le système Android pour téléphones mobiles.

     

    Toutes ces réponses sont exactes. Google a bel et bien créé ou racheté ces outils. Toutefois, ce ne sont pas ces logiciels qui lui procurent ses immenses revenus.

    Si vous êtes un simple particulier, aussi loin que vous vous souveniez, cette société ne vous a jamais réclamé quoi que ce soit pour l’usage de ses services. Vous n’avez jamais eu à débourser un traître centime pour utiliser son moteur de recherche, sa messagerie Gmail, visionner ses vidéos, repérer votre domicile sur son système de cartographie Google Maps…

    Puisqu’il en est ainsi, d’où une société qui offre des services gratuits tire-t-elle son gigantesque revenu – plus de 50 milliards dollars sur l’année fiscale 2012 ?

    La réalité, c’est que Google est avant tout la plus grande agence publicitaire au monde.

    Google est une entreprise qui offre une multitude de services gratuits de qualité, l’objectif étant que vous cliquiez le plus souvent possible sur ses liens commerciaux.

    Chacun de vos clics enrichit d’autant cette société sise à Mountain View en Californie.

    La situation que Google a acquise dans le domaine de la publicité s’approche peu à peu du monopole. En 2012, sa part de marché dans les revenus de la publicité en ligne sur le territoire américain était de 72,8 % avec des prévisions allant vers les 75 % en 2015.

    Lorsque vous utilisez le moteur de recherche de Google ou visionnez une vidéo sur Youtube, la relation de cause à effet est patente. Ce sont ces services qui affichent les annonces publicitaires.

    Toutefois, il arrive que vous cliquiez sur des réclames sur des sites n’ayant aucun rapport avec Google et ne sachiez aucunement qu’elles sont gérées par Google !


    Un goût de déjà vu...

    Si l’on s’en tient au secteur des moteurs de recherche, Google capte

    des chiffres en croissance régulière (source StatCounter - novembre 2016)

    Une telle domination ne vous rappelle-t-elle pas quelque chose ?

    Nous n’en sommes pas encore à la situation que connaissait Microsoft vers la fin des années 90 avec Windows présent sur 95% des micro-ordinateurs vendus sur la planète.

    La tendance est toutefois là, avec une progression qui paraît inexorable.

    Bill Gates

    L'Histoire semble d'ailleurs se répéter. En août 1998, le Ministère de la Justice américain avait auditionné Bill Gates à propos des manœuvres de Microsoft en matière d'abus de position dominante.


    Eric Schmidt - équipe dirigeante de Google

    En septembre 2011, c’est Eric Schmidt, le PDG de Google qui s’est retrouvé sous les tirs croisés des sénateurs américains avec un chef d’accusation qui s’apparente à un air connu : violation des principes anti-trust.

    Les sénateurs réunis sous la houlette du démocrate Herb Kohl reprochaient à Google d’user de sa suprématie dans le domaine des moteurs de recherche pour promouvoir ses propres services tels que YouTube ou Google Maps (au détriment de concurrents comme Dailymotion ou Mappy). Le lien vers ces services apparaît sur la ligne supérieur de de son moteur de recherche.

    Tout comme en 1998 où les compétiteurs de Microsoft avaient défilé à la barre, des concurrents de Google sont venus témoigner devant les sénateurs américains pour dénoncer cette inégalité de traitement. Parmi eux, Jeremy Stoppelman, PDG de Yelp, un service de recommandation de restaurants ou Jeffrey Katz, qui préside NexTag, un système qui repère les bonnes affaires sur le Web, et d’autres plaignants.

    Dès sa déclaration d’ouverture, Eric Schmidt a affirmé que Google n’était en rien comparable à Microsoft. L’argument, que nous retrouverons à plusieurs reprises dans ces pages est que en théorie, rien n’empêche les usagers d’utiliser un autre moteur de recherche gratuit, ou bien en matière de téléphonie mobile un autre système que Android.

    En réalité, les facteurs qui amènent Google à ressembler à Microsoft sont nombreux.

    La différence, c'est que le modèle de rentabilité repose sur des facteurs beien plus efficaces et redoutables que ceux de Microsoft.

    Google est la seule société au monde qui pourrait décider de fermer le 1er janvier, envoyer tous ses employés en vacances durant une bonne année sabbatique.

    Le 31 décembre de la même année, le revenu de Google aurait sans doute tout de même progressé !

    La poule aux œufs d’or des mots-clés publicitaires

    Coca cola quies

    Pour de nombreuses entreprises, le rêve serait de disposer d'une 'vache à lait' : un produit qui se vend au fil des années sur sa simple notoriété, sans avoir besoin d'être modifié. Les biscuits Lu, le Coca-Cola originel, les boules Quies sont des exemples d'articles qui continuent de se vendre sans que leur producteur ait à dépenser le moindre centime pour en modifier l'apparence.

    Google a transcendé la chose. Ses fondateurs Larry Page et Sergey Brin ont élaboré un système de revenus 'quasi automatique' en tout point unique. Une grande partie de cette manne, une fois que le système a été démarré, tombe d'elle-même !

    En premier lieu, il n'est pas une seule activité au monde qui ne puisse devenir un client potentiel de Google.

    Vogue

    Quel que soit le domaine dans lequel vous opérez, que vous fabriquiez des vases en bambou dans un village reculé des montagnes de Chine, que vous dirigiez un bureau de conseil en recrutement international à Paris, que vous fabriquiez des sièges pour les avions de ligne ou des stylos peints à la main, vous avez une bonne raison d'acheter à Google des 'mots-clés publicitaires', ou Adwords. Lorsqu'un internaute tapera ' bijou ', ' conseil en recrutement ', ' siège pour avions ' ou ' stylo artisanal ', vous aurez peut-être la chance d'apparaître dans la colonne de droite des résultats de Google.

    La plupart des noms communs du dictionnaire ont ainsi été transformés en source de revenus et l'un des milliers de commerciaux de Google se fera un plaisir de vous vendre ces Adwords, à un tarif qui ne cesse de grimper. Un système qui défie l'imagination, et que Page et Brin ont décliné sous des formes si lucratives que la société a longtemps doublé son chiffre d'affaires chaque année.

    Comment se fait-il que le coût des Adwords ne cesse de grimper ? Prenons un exemple pratique.

    Adwords

    Requête Google sur les bijoux

    Imaginons que votre société vende des bijoux. Vous souhaiteriez sans doute que votre enseigne apparaisse parmi les premières lorsqu'un internaute tape le mot 'bague' ou 'boucle d'oreille'. Vous allez donc acheter auprès de Google les adwords (mots-clés publicitaires) correspondants. À partir de là, dès lors qu'un internaute tapera 'boucle d'oreille', votre marque apparaîtra au sommet des résultats de Google, avec un lien vers votre site Web.

    Imaginons qu'il vous coûte 1 euro (chiffre simplifié utilisé à des fins de démonstration) pour que votre entreprise arrive en tête des résultats de Google sur le mot-clé 'boucle d'oreille'. À partir de là, chaque fois qu'un internaute va cliquer sur ce lien, vous payez 1 euro à Google. Seulement voilà, vous n'êtes pas le seul à proposer à la vente de tels objets. Alors, pour départager ceux qui acquièrent des adwords comme 'boucle d'oreilles', Google pratique un système d'enchères, dont le montant n'est pas connu. Si vous êtes le n°3 dans la liste des bijoutiers qui apparaissent à l'écran et souhaitez devenir n°1, il vous faudra débourser une somme plus importante, par exemple 1,20 euro par clic, puis 1,35 euro et surveiller l'affichage des résultats. Posons que vous constatez alors qu'en déboursant 1,42 euro, vous arrivez en tête des annonceurs.

    Pas si vite… Votre principal concurrent, voyant qu'il n'est plus n°1 va augmenter à son tour la mise et proposer 1,50 euros. Pour repasser au sommet, vous allez bientôt payer cet adword 2 euros, puis 2,34 euros, puis 2,41 euros. Et ainsi de suite. C'est la raison pour laquelle le revenu de Google est voué à augmenter de manière quasi automatique.


    Considérez à présent le nombre d’entreprises existant sur cette planète. Essayez de vous représenter le nombre d’activités de type commercial existant de par le monde et qui chacune, souhaiterait être bien référencée par Google.

    Que votre entreprise soit unipersonnelle ou qu’elle compte des dizaines de milliers d’employés, vous êtes pareillement un consommateur potentiel d’ adwords.

    Microsoft, au plus fort de son hégémonie avait pour clients les fabricants et les utilisateurs de PC.

    Google a pour clients le monde entier.




    Des millions d’adwords…

    Pour mieux prendre la mesure d’une telle manne publicitaire, imaginons à présent que vous gériez une agence de voyage. Le nombre d’adwords qu’il faudra réserver est pharamineux.

    Vol Toulouse Londres

    Vous devez prendre en compte qu’un client en recherche d’un avion puisse taper des combinaisons aussi variées que ‘vol Toulouse Londres’, ‘avion Paris Buenos Aires’, ‘vol pas cher Bruxelles New York’…

    Des milliers, des dizaines de milliers de combinaisons qu’il est nécessaire de subodorer pour mieux happer le chaland et qui constituent autant d’adwords. La facture de ce qu’il faudra régler à Google risque d’être lourde.

    Toutefois, vous n’avez pas le choix. Il faut attirer la clientèle et, de nos jours, il paraît illusoire d’éviter le moteur de recherche dominant.

    Maintenant, si vous êtes une société comme le site de ventes aux enchères eBay, il est nécessaire d’acquérir un nombre titanesque de mots-clés pour attirer les internautes vers votre site. Cela va de la théière de collection à des bikinis en passant par le dernier modèle d’iPad.

    Paul Auster Amelie Nothomb

    Pour un libraire en ligne, l’équation est similaire. Que l’internaute tape ‘Victor Hugo’, ‘Paul Auster’ ou ‘Amélie Nothomb’, Amazon, la Fnac, Decitre et d’autres souhaitent l’attirer vers leurs pages. Comme les écrivains sont extrêmement nombreux, cela correspond à une quantité sidérante de mots-clés. Or, de telles enseignes diffusent aussi des CDs, des DVDs, et bien d’autres articles.

    Amazon

    Une étude a été publiée sur le sujet le 22 mai 2009 par le site SEObook. Il en est ressorti que déjà à cette époque, Amazon avait réservé pas moins de 913 341 adwords, ce qui lui coûtait 9,5 millions de dollars par mois !

    eBay pour sa part, avait annexé 736 756 adwords soit un budget mensuel de 9,7 millions de dollars. Une agence de voyage comme Expedia dépensait 8,8 millions de dollars, etc. Ces chiffres, rappelons-le, remontent au printemps 2009 et il est probable qu’ils ont enflé depuis.

    C’est ce système qui explique en partie l’immense fortune accumulée par Google en un temps record. En partie seulement, car comme nous le verrons plus loin, cette société de Californie a su manœuvrer intelligemment et transformer l’essai.

    Autant le dire : il y avait une poule aux œufs d'or cachée dans le Web. Google l'a trouvé et l'exploite magistralement

    Deux surdoués à la tête de l’entreprise

    Page & Brin

    Google a été fondée en 1998 par un duo de surdoués : Sergey Brin et Larry Page. Si vous n'êtes à l'affût des nouvelles du monde Internet, il est possible que vous ne les connaissiez pas, que vous ayez du mal à mettre un visage sur leurs noms.

    À la différence de dirigeants comme Steve Jobs, Bill Gates ou Richard Branson, Larry Page et Sergey Brin se mettent rarement en avant. Ils n'en ont pas besoin. Ils sont certes sympathiques, brillants et s'expriment fort bien. Il se trouve juste qu'ils n'ont pas besoin des médias : Google se suffit à elle-même. Aucun magazine, aucune chaîne de télévision ne peut se vanter d'une audience comparable à celle de ce moteur de recherche.

    Qui sont ces deux larrons à l'origine d'un tel système ?


    Sergey Brin et Larry Page

    Sergey Brin

    Sergey Brin est cool et ressemblerait presque à un adolescent. Il paraît naturellement à son aise dans son uniforme de jeune Californien, jean et polo à manches courtes faisant ressortir son physique de sportif. Un visage arrondi et mince, un nez assez long et d'épais cheveux noir de jais, coupés court.

    Brin est sympathique, souriant, brillant et sans prétention, presque agaçant… Il semble prendre un malin plaisir à multiplier les activités. Il dégage un grand calme et de l'assurance, sans une once d'arrogance. Car dans la vie de tous les jours, Sergey ne se prend pas au sérieux et ne rate pas une occasion de plaisanter.

    Brin est le visionnaire de Google, l'équivalent de ce que peut représenter Steve Jobs pour Apple ou Bill Gates pour Microsoft. Comme eux, il est malin, vif, supérieurement intelligent, mais aussi très accessible.

    Larry Page

    Larry Page a un visage plus rond et l'allure d'un bon fils de famille. Il paraît un peu plus mûr que son acolyte, alors qu'il n'a que quelques mois de plus : Lawrence E. Page est né le 26 mars 1973 à Ann Arbor, dans le Michigan.

    Il semble plus introverti, avec un soupçon de timidité. À la différence de certains PDG de l'informatique ou des médias, tels Steve Jobs ou Richard Branson de Virgin, il ne dégage pas de charisme particulier. Il est probable qu'il ne s'en soucie guère.

    Le plaisir ultime de ce sympathique personnage est d'imaginer de nouveaux problèmes. Il aime se lancer des défis. Page est l'ingénieur et mathématicien qui est à l'origine de la programmation du fameux moteur de recherche Google.

    Vers la fin des années 60, le père de Sergey Brin résidait en Union Soviétique et s'était mis dans la tête d'y arriver coûte que coûte, sans tenir compte de l'antisémitisme ambiant - les juifs se voyaient alors exclus d'un grand nombre d'universités, le pouvoir mettant en doute leur loyauté. Michael Brin qui ambitionnait de devenir astronome a dû renoncer à cette ambition et a choisi sur les mathématiques. Il a subi maintes humiliations avant d'être finalement admis à l'Université. Il s'y est distingué par d'excellentes notes mais s'est vu écarté, judaïsme oblige, des études de haut niveau. Devenu économiste, il a suivi des cours du soir et a rédigé quelques articles qui ont été remarqués. Avec acharnement, il a décroché un doctorat, un fait alors rarissime pour un membre de sa communauté.

    Durant les années 70, les Brin ont réussi une tranquille assimilation dans la société russe. Comme ils faisaient partie de l'intelligentsia, ils regardaient de haut les manifestations d'intolérance qu'ils subissaient parfois du petit peuple. C'est dans cette atmosphère qu'est né Sergey, le 21 août 1973.

    Au cours de l'été 1977, Michael Brin assiste à une conférence internationale sur les mathématiques à Varsovie ce qui l'amène à croiser des collègues d'Europe comme d'Amérique. À sa grande surprise, les gens qu'il entrevoit sont normaux et même fort sympathiques. Lorsqu'ils dépeignent la vie dans le monde occidental, Michael demeure pantois. Ce jour là, il rentre à la maison en annonçant son intention d'émigrer aux USA !

    Pas si simple… Ceux qui font la demande d'un visa doivent subir maintes brimades. Ils perdent souvent leur travail et se voient rejetés de leurs pairs. Comme son épouse Eugenia se plaît à Moscou et aime son poste de chercheur, Michael va devoir faire œuvre de persuasion.

    La demande de visa est effectuée en septembre 1978 et ses conséquences sont rapides : tous deux perdent leur job. Pour assurer le quotidien, le couple se retrouve obligé d'accepter quelques menus travaux tout en partageant la garde de Sergey. Toutefois, en mai 1979, à leur grande surprise ils obtiennent un visa qui leur autorise de quitter le territoire.

    Sergey Brin qui n'a alors que six ans découvre tout comme ses parents la belle ville de Vienne, puis celle de Paris où un ami Anatole Katok de démène pour obtenir à Michael un poste à l'Université du Maryland.

    Ils débarquent en Amérique le 25 octobre et découvrent avec surprise, les immenses automobiles qui défilent le long des autoroutes. Sur cette terre, ô stupeur, ils sont libre d'être ce qu'ils sont et de s'affirmer comme tel. Une aubaine pour les Brin qui, à défaut d'être très pratiquants, se sentent fortement attachés à leur communauté et à ses traditions. Et liberté rime avec fraternité : au Maryland, la communauté juive locale va accorder un prêt aux nouveaux venus.

    Au niveau scolaire, Sergey connaît une première année difficile dans la mesure où il n'a qu'une piètre connaissance de la langue anglaise. Il va toutefois s'accrocher - comment pourrait-il en être autrement avec un père aussi exigeant ? Par bonheur, il manifeste très vite une intelligence hors du commun. En septembre 1990 de cette année, Sergey s'inscrit à l'Université et obtient une licence. Il postule ensuite pour l'Université de Stanford, célèbre pour ses recherches en technologie. La chance a veut alors qu'en 1995, il y croise un dénommé Larry Page.

    Garçon calme et posé, Larry Page est le fils d'un pionnier de l'informatique et de l'Intelligence Artificielle mais aussi de Gloria, une femme de confession juive - son père a fait partie des premiers colons d'Israël et a aidé à fertiliser la ville désertique d'Arad. Gloria ne témoigne pourtant pas d'attachement particulier pour cette religion et Larry ne fera pas sa bar-mitsvah.

    Leur origine a-t-elle aidé au développement de la complicité que Larry et Sergey entretiennent immédiatement ? Il est difficile de le dire. Ce qui est sûr, c'est que Larry partage avec Sergey un esprit vif, prompt à argumenter, un goût immodéré pour le débat et la remise en question. Comme il se doit, la rencontre entre les deux prodiges a l'effet d'un geyser intellectuel.

    Page a grandi dans un environnement où les ordinateurs abondaient. Dès 1978, alors qu’il n’avait que 5 ans, un PC a fait son entrée à la maison. Le jeune garçon a attrapé le virus de l’informatique à partir de l’année suivante. Très vite, il aime se donner d’immenses défis : peu avant son entrée au lycée d’East Lansing (dans le Michigan au nord des USA), Larry avait construit une imprimante à jet d’encre à base de Legos.

    « Cette formation impliquait de ne pas suivre de règles, de ne pas obéir à des ordres, d’être auto-motivé, de poser des questions sur ce qui se passait dans le monde, de faire les choses différemment… »

    Il semble que cette disposition d’esprit ait guidé certains des principes opératoires de Google par la suite.

    La rencontre de Page et Brin à Stanford

    Stanford University

    C'est donc au cours de l'année 1995, en Californie, que les deux étudiants surdoués se rencontrent à l'université de Stanford.

    Sergey Brin a décroché une maîtrise d'informatique et de mathématiques à l'Université du Maryland et s'en vient à Stanford pour suivre des études avancées dans ce domaine.

    Nanti d'un diplôme universitaire d'informatique, Larry Page se présente un mois plus tard à Stanford en vue d'obtenir un doctorat.

    Il semble que ces deux 'nerds' soients fait pour s'entendre. Ils ont d'emblée plusieurs points communs : une scolarité dans une école Montessori, une ascendance juive, une passion précoce pour les ordinateurs…

    Passé le tout premier contact où ces deux surdoués disent avoir trouvé l'autre 'exécrable', le courant s'établit. Ils partagent tous deux un esprit vif, prompt à argumenter, un goût immodéré pour le débat et la remise en question. Leur rencontre produit un geyser intellectuel.

    Le Gates Building à Stanford

    Ironie du sort, le 30 janvier 1996, l'université de Stanford inaugure le Gates Computer Science Building, un élégant bâtiment en pierre blanche de trois étages, aux grandes fenêtres, doté d'une façade arrondie. Situé en face d'une fontaine circulaire, cet ensemble de belle allure est dédié à la recherche avancée en informatique. Si le nom de Bill Gates est gravé sur la plaque de pierre surplombant l'une des entrées, c'est parce que le richissime fondateur de Microsoft a effectué une donation de 6 millions de dollars pour l'édification de ce haut lieu de la recherche.

    En ce 30 janvier 1996, James Gibbons, le doyen de l'École d'ingénierie, a une parole presque prophétique :

    " Voici ce que je prédis : dans les dix-huit mois à venir, quelque chose va se passer ici. Il y aura un endroit, un bureau, un coin que les gens montreront du doigt en disant : 'Oui, c'est ici qu'ils ont travaillé sur tel projet en 1996 et 1997 !' Vous saurez alors qu'il s'agissait de quelque chose de majeur. Tout le monde en parlera… "

    Cette phrase de James Gibbons, prononcée le 30 janvier, a été on ne peut plus prémonitoire…

    Toujours est-il que c'est dans le Gates Computer Science Building que Larry Page et Sergey Brin ont développé le projet Google !...

    Répertorier l’intégralité du Web

    En 1996, dans les universités comme ailleurs, on ne parle que d'Internet et du Web. Deux anciens étudiants de Stanford, David Filo et Jerry Yang, tout juste trentenaires, ont créé le premier annuaire répertoriant les sites Webs : Yahoo!. Très vite, ce site a attiré des millions de visites par jour. Un premier moteur de recherche est apparu en décembre 1995 : AltaVista.

    Larry Page entretient une intention qui paraît un peu surréaliste. Il souhaiterait développer un moteur de recherches et pour ce faire, il projette de recopier l'intégralité du Web sur des ordinateurs afin de pouvoir l'analyser à volonté.

    Le moteur de recherche envisagé par Page serait intelligent et classerait les pages en fonction de leur intérêt pour l'utilisateur. Pour ce faire, il a l'idée du PageRank, un indice de la valeur relative d'une page donnée.

    Jusqu'à présent, si un internaute tape un mot comme 'Michel Ange' sur un moteur de recherches comme AltaVista, toutes sortes de réponses lui sont retournées, sans classement particulier. Un site dédié au sculpteur et architecte de la Renaissance n'apparaîtra peut-être qu'en dixième position, derrière des pages moins utiles commes celles de la 'pizzéria Michel Ange', le 'garage Michel Ange'...

    Page veut donc attribuer à chaque page du Web l'indice PageRank, calculé en fonction de divers critères. Si de nombreux sites pointent vers une page donnée, c'est qu'elle est probablement importante. Si parmi ces sites qui pointent vers elle se trouvent des musées, des universités, ou encore un journal réputé comme Wall Street Journal, son PageRank n'en sera que plus fort.

    Le projet de Larry Page ne peut que séduire Sergey Brin. Il se trouve que lui-même s'intéresse fortement au 'data mining', une discipline visant à repérer des tendances ou relations insoupçonnées au sein d'un énorme volume d'information.

    La première tâche entrevue par Page consiste donc à télécharger l'intégralité du Web sur les ordinateurs de Stanford. Très vite, les deux compères vont réaliser qu'elle est bien plus vaste que prévu : ce qui était initialement censé prendre une semaine va s'étirer sur des mois et des mois. Le PageRank, pour sa part, fait l'objet de formules mathématiques de plus en plus complexes.

    Dès le début de l'année 1997, les essais effectués sur le PageRank se révèlent satisfaisants. D'ores et déjà, le service conçu par Page & Brin renvoit des résultats plus opportuns que les moteurs de recherche d'alors : AltaVista, HotBot, Lycos...

    La création de Google en 1998

    Dans un premier temps, Larry Page et Sergey Brin tentent de vendre leur technologie à diverses entreprises du Web, telles que Yahoo! Ayant essuyé refus sur refus, ils décident finalement de lancer eux-mêmes ce service. Il est nommé Google en référence au terme 'googol' qui évoque la multitude, l'incommensurable : il correspond au chiffre 1 suivi par une centaine de zéros.

    La société Google est créée en septembre 1998. Google reçoit sa première distinction dans le mensuel PC Magazine en décembre 1998. La revue salue les performances de ce nouveau 'moteur de recherche'. Cette simple mention engendre du trafic et leur enseigne une chose essentielle : il est possible d'obtenir de belles retombées sans dépenser un centime !

    Il est vrai que la qualité des résultats que propose ce nouveau service favorise un bouche à oreille positif. De plus, la sobriété de son interface joue en sa faveur. Là où les autres outils adoptent une approche de type 'kiosque à journaux' avec des accroches criardes, Google a choisi d'afficher une page presque vide et donc rassurante pour ceux qui découvrent Internet.

    En 1989, le nombre de visites quotidiennes approche les 4 millions. La start-up compte alors plusieurs dizaines d'employés. En un savoureux clin d'oeil du destin, Yahoo! figure désormais parmi ceux qui déboursent une forte somme pour accueillir le moteur de recherche Google...

     

    Un cadre de vie idyllique

    Siege Google

    Durant l'été 1999, Larry Page et Sergey Brin acquièrent un vaste bâtiment dans la ville de Mountain View afin d'y installer le siège de Google. Consciemment ou non, ils créent un cocon particulier où les programmeurs doivent se sentir si bien qu'ils aient envie d'y passer le plus de temps possible. Un environnement néo-hippie en apparence.

    Googleplex

    Le bâtiment dans lequel résident ceux que l'on appelle les 'Googlers' s'apparente à un mini-paradis. En premier lieu, un grand nombre de services qui pourraient nécessiter d'aller en ville ont été intégrés au Googleplex : laverie automatique, salle de gymnastique, soins médicaux et dentaires, installations de sports… Les enfants sont pris en soin par une crèche locale qui applique les concepts d'Emilia Reggio, une pédagogue italienne dont l'approche rappelle celle des écoles Montessori : absence de hiérarchie, développement de la créativité de l'enfant, etc.

    Trois repas sont servis chaque jour dans le Googleplex et ce sont des menus pour gourmets, d'une qualité irréprochable. Mieux encore, le cuisinier qu'ils ont embauché en novembre 1999 était auparavant le traiteur du groupe Grateful Dead, un groupe de musique californienne 'planante' des années 70, devenu culte auprès des baba cools en tous genres. Toute cette nourriture gratuite à volonté peut avoir pour contrepartie que certains développent des poignées d'amour plus rapidement que prévu. Qu'importe : les salles de fitness leur ouvrent les bras.

    Google Campus

    Page et Brin ont intégré dans la culture de Google un souci écologique. D'un bout à l'autre du Googleplex, on trouve l'équivalent des Vélib parisiens : n'importe quel employé peut enfourcher une bicyclette pour se rendre d'un bâtiment à un autre. Ceux qui acquièrent un véhicule non polluant, comme une voiture à hydrogène perçoivent une prime. En mai 2009, Page et Brin iront jusqu'à louer deux cent chèvres afin qu'elles nettoient le campus des broussailles qui s'y étaient développées, de la manière la plus 'écolo' qui soit.

    Ce maintien d'une 'culture' cool apparaît si important aux yeux de ses fondateurs qu'il existe au sein de Google un poste intitulé Chief Culture Officer ; en d'autres terme, le Responsable du maintien de la culture. Son job consiste à préserver cet environnement de type communautaire, où chacun peut aisément s'adresser à l'un de ses pairs, avec une absence apparente de hiérarchie.

    En 2012, lors d’une interview donnée au magazine Fortune[4], et dans lequel il était indiqué que Google était l’une des entreprises où il faisait le plus bon travailler aux USA, Larry Page est revenu sur cet aspect.

    « Il est important que l’entreprise soit une famille, que les gens sentent qu’ils en font partie, que l’entreprise se comporte comme une famille à leur égard. Lorsque vous traitez les gens ainsi, vous obtenez une meilleure productivité.
    Plutôt que de vous soucier du nombre d’heures que vous avez travaillé, vous vous souciez du résultat.
    Il faut que nous continuions d’innover dans la relation avec nos employés et continuions d’imaginer tout ce que nous pourrions faire pour leur bien-être.
    Nous avons pris soin de la santé de nos gens, nous veillons à ce qu’ils demeurent en bonne santé, arrêtent de fumer. Notre budget santé s’est accru plus rapidement que dans d’autres sociétés. En contrepartie, nos employés sont plus heureux et plus productifs et c’est bien plus important. »

    Toutefois, il est probable que la trouvaille la plus brillante de Page et Brin ait été la règle des 20 %. Chaque employé de Google est libre de consacrer 1/5ème de son temps de travail hebdomadaire à oeuvrer sur le projet de son choix. Cet encouragement à la créativité a donné naissance à un grand nombre de services aujourd’hui universellement appréciés.

     

    Look ‘anticonformiste’

    Que ce soit en interne comme vis-à-vis du monde extérieur, bien des magnats de la micro-informatique ont compris qu'ils avaient tout à gagner en véhiculant l'image de personnalités cools, amicales, conviviales. Ils ont ainsi bénéficié d'une cote d'amour rare pour des patrons richissimes.

    Steve Jobs semble avoir été le maître absolu en la matière avec sa perpétuelle barbe de trois jours, ses pulls noirs et ses jeans, son allure d'intellectuel branché. Pourtant, Bill Gates, durant une longue période, n'était pas en reste.

    Larry Page et Sergey Brin ont reproduit ce modèle au niveau de l'image que renvoit Google, et il est fort possible qu'il corresponde simplement à leur vision fondamentale de la vie.

    En ce qui concerne Google, nous pourrions dire que le mot d'ordre général est celui-ci : 'apparaître amical'. Google est l'ami de ses employés. Google est l'ami de l'internaute. Google est une société sympathique, qui vous offre quantités de services agréables à utiliser. Venez chez Google ! Servez-vous à volonté : tout est gratuit ! Faites comme chez vous !

    Au-delà de cette convivialité de façade, Larry Page et Sergey Brin, il faut le reconnaître, sont réellement des individus sympathiques, sans prétention, aisément appréciables.

    Quoiqu'il en soit, en cultivant cette attitude, Google s'assure d'une chose essentielle : que les internautes continuent, ad vitam æternam d'utiliser le moteur de recherche Google, la messagerie Gmail, les téléphones Android...

    Tout doit être fait pour cultiver cette image conviviale. Pour quelle raison ? Pour que les 'amis' de Google cliquent et recliquent, et recliquent encore sur les fameux adwords évoqués plus haut…

    Croissance exceptionnelle

    La croissance des revenus de Google

    Le 14 avril 2000 a été une journée noire, celle de la débâcle boursière de la 'net-économie'. Les start-ups nées à la faveur de la 'bulle Internet' ont mordu la poussière, les unes après les autres.

    Tandis que la Bourse accuse le coup, Google demeure serein. En premier lieu, comme la société n'est pas cotée sur le Nasdaq, elle n'est aucunement frappée par la secousse. Les embauches se poursuivent avec d'autant plus de facilité que nombreux sont les ingénieurs de qualité à se retrouver soudainement désœuvrés et suffisamment ébranlés pour baisser leurs prétentions salariales.

    En attendant, les investisseurs désertent le Web. Trop de millions de dollars ont été gaspillés en vain. Lorsque les retraités d'Amérique ont constaté que leur pactole s'était réduit comme peau de chagrin, les responsables de fonds de pensions se sont fait vertement sermonner. Un mot d'ordre a donc été à l'ordre du jour : 'placez notre argent n'importe où mais pas dans le Web !'

    En réalité, cette baisse de confiance dans les start-ups Internet profite à Google. Les géants de l'informatique ne vont aucunement percevoir qu'un titan est en train d'émerger, et certains, comme Microsoft, vont commettre des erreurs stratégiques qu'il sera impossible de rattraper plus tard.

    Au début de l'année 2000, Microsoft est le n°1 absolu de son domaine. L'édition créée par Bill Gates pèse alors 23 milliards de dollars dont 9,5 milliards en bénéfices.

    Ayant survécu sans égratignure au procès intenté par le gouvernement américain, elle poursuit une expansion que rien ne semble pouvoir arrêter. Windows est alors présent sur 92,1 % des ordinateurs livrés dans le monde.

    À cette époque, le chiffre d'affaires de Microsoft est trois fois plus élevé que celui d'Apple, que Steve Jobs travaille dur à redresser après une décennie chaotique.

    Si vous aviez joué les prophètes et prédit que 10 ans plus tard, Apple aurait dépassé Microsoft, la plupart des gens auraient haussé les épaules, jugeant qu'il était vain d'argumenter avec un Apple-maniac dépourvu d'objectivité. Toutefois, si vous aviez eu le culot de prédire que 4 ans plus tard, Microsoft se mettrait à redouter les assauts de ce nain de Google, on vous aurait carrément ri au nez...

    Or, Microsoft va négliger une opportunité incroyable : celle de racheter la technologie Overture, inhérente aux publicités de Google…

    La ‘vache à lait’ des Adwords

    La clé de l'immense revenu de Google n'est pas une invention maison. C'est la société Overture qui a étrenné ce qui est devenu les adwords. Elle a été fondée en juin 1998 par un dénommé Bill Gross.

    C'est Overture qui a eu l'idée de vendre des mots-clés selon le système de 'pay-per-click'. Si un annonceur achète le terme 'tondeuse à gazon électrique', il ne paye Overture qu'en fonction du nombre de clics effectués sur ce mot-clé.

    Overture est également à l'origine du deuxième concept essentiel : vendre ces mots-clés aux enchères. Si trois boutiques vendant des tondeuses achètent ce même mot-clé, celle qui paye le plus au clic est affichée en première position, celle qui débourse juste un peu moins se retrouve en 2ème place, et ainsi de suite. Les annonceurs ont donc tendance à surenchérir régulièrement les uns par rapport aux autres.

    C'est en plusieurs étapes que Google adopte ce système imaginé par Overture. Il entre initialement en scène le 23 octobre 2000. À cette époque, les Google adwords n'ont séduit que 350 clients. À l'origine, Page et Brin n'ont pas intégré la formule des enchères.

    En adoptant cette forme de publicité, Larry Page et Sergey vont à l'encontre de ce qui est alors à la mode sur le Web. Un article publié par Business Week en décembre 2000 donne la couleur du ressenti de l'époque.

    " Le fait que Google refuse catégoriquement d'utiliser des bannières ou autres publicités graphiques élimine ce qui est la source de revenus la plus lucrative pour les autres moteurs de recherche. "

    Face aux remarques de ceux qui leur reprochent de limiter ainsi leur marché, Page et Brin tiennent bon. Ils ont pour philosophie de servir l'internaute et préfèrent s'en tenir à ce principe. Il importe que toute visite sur Google apparaisse comme un moment agréable.

    Au début, l'arrivée de la publicité fait progresser les revenus de Google, mais pas de manière spectaculaire : durant l'année 2001, la start-up engrange 85 millions de dollars. Au début de cette même année, sur l'insistance des investisseurs de Google, un PDG à l'ancienne a été embauché : Eric Schmidt. Il apporte une teinte 'business' qui manque encore à cette entreprise ultra-cool.

    Dès février 2002, Google entreprend un premier virage qui laisse à penser que le duo, épaulé par Schmidt, prend goût à la couleur de l'argent. Page et Brin ont décidé d'intégrer l'autre trouvaille de Overture : un tarif des adwords fixé par les enchères.

    Dans le même temps, Google décide d'installer les annonces publicitaires liées aux adwords sur la colonne de droite des résultats d'une recherche. Selon Sergey Brin, c'est un entrepreneur israélien, Yossi Vardi, qui a été à l'origine du concept qui a fait la fortune de Google.

    " Yossi a inventé la formule magique : consacrer deux tiers de la page aux résultats d'une requête et un tiers aux annonces publicitaires. " a confié Brin.

    À elle seule, la colonne des adwords fait la fortune de Google. l'aventure joviale et décontractée de deux étudiants en une fabuleuse machine à sous.

    Dès la fin 2002, le revenu dépasse les 400 millions de dollars. Un an plus tard, il sera de 1,5 milliards - dont 97% issus de la publicité !

    En parallèle, Google prend très largement le leadership au niveau des moteurs de recherche. Pour la plupart des internautes, le premier écran qui apparaît lorsqu'on va surfer sur le Web est celui de Google.

    Des centaines de millions de sites sont accessibles de par le monde, mais c'est un même point d'entrée qui sert d'accueil. Un peu comme si le métro parisien desservait des millions de destinations mais que tous les voyageurs entraient par la station Opera.

    Désormais, apparaître sur la 1ère page de Google est devenu une nécessité pour des millions d'entreprise. Descendre d'une position ou deux peut avoir de lourdes conséquences. Tous ceux qui comptent sur le Web pour drainer des clients vers leur entreprise dépendent désormais des fluctuations de Google.

    L’erreur fatale de Bill Gates

    Vers le début de l'année 2003, Bill Gates de Microsoft va commettre un impair majeur. D'une simple décision irréfléchie, il va laisser échapper le marché publicitaire d'Internet. À cette époque, il est convaincu d'une chose : quel que soit le service qu'on lui évoque, il est persuadé que Microsoft peut mieux faire.

    En février 2003, un ingénieur de Microsoft, Chris Payne tire la sonnette d'alarme. Durant un exposé de deux heures, Payne évoque la domination acquise par Google dans le domaine des moteurs de recherche. Il explique comment ce nouveau venu a capté une part majeure du marché publicitaire et conseille de copier sans vergogne ce concurrent.

    Quelques mois plus tard, Chris Payne revient à la charge. Overture est en vente. Le temps presse et il plaide pour que Microsoft rachète cette société et sa technologie publicitaire. La réponse de Gates est catégorique : " non ! ". Selon lui, Microsoft peut faire mieux, à moindre coût.

    Microsoft vient de perdre de manière définitive la bataille d'Internet. En juillet 2003, c'est la société Yahoo! qui procède au rachat d'Overture pour la somme de 1,63 milliards de dollars.

    Un nouveau géant

    dirigeants de Google

    Yahoo! étant par nature un concurrent de Google, elle dispose d'une arme terrible face à ce challenger qui les a si vite dépassé. Or, peu avant son rachat, Overture a intenté un procès en contrefaçon contre Google…

    Au début de l'année 2004, les deux investisseurs principaux de Google, John Doerr et Michael Moritz, pressent Larry Page, Sergey Brin de procéder à une entrée en Bourse. Pour l'occasion, les deux fondateurs rédigent une profession de foi particulièrement atypique, dans laquelle ils décrivent en long et en large leur philosophie, organisée autour d'un crédo : 'Ne faites pas le mal'.

    Doerr et Moritz ont d'autres soucis. Avant de pouvoir opérer une entrée sur le Second Marché, il importe d'enterrer la hache de guerre avec Yahoo!. L'action en justice entreprise vis-à-vis des brevets d'Overture constitue une menace de taille. Ce conflit doit être réglé quel qu'en soit le prix. Une négocation est menée avec Yahoo! et Google accepte de régler sans rechigner la facture qui lui est brandie. Il va en résulter une perte financière énorme qui a été estimée à près de 290 millions de dollars. Le soulagement est tout de même intense : cette épée de Damoclès mettait en péril la survie même de Google.

    Le 19 août 2004, le monde prend conscience de la puissance acquise par Google. Proposé au Nasdaq, la bourse des valeurs technologiques, le titre fait l'objet d'une demande frénétique : 22 millions de parts sont acquises durant la journée. 1,2 milliards de dollars entrent dans les avoirs de la société, et au passage, Larry Page et Sergey Brin entrent dans le clan des millionnaires américains.

    Lorsque le magazine Forbes de mars 2006 publie son classement annuel des hommes les plus riches de la planète, quand bien même Bill Gates trône au sommet de la liste, Sergey Brin et Larry Page figurent déjà dans le Top 30 - à la 26ème et 27ème position respectivement, avec pour chacun une fortune de 12,9 milliards de dollars. Une belle performance pour ces deux jeunes hommes qui ont tout juste la trentaine.

    Il est probable que Bill Gates ait observé la performance boursière de Google avec amertume. S'il avait racheté la société Overture, alors Google serait devenu un centre de profit pour Microsoft !

    Or, à partir de la fin 2003, Larry Page et Sergey Brin ont adopté la stratégie de la petite hirondelle qui harcèle le faucon pèlerin : Google n'a eu de cesse de titiller le géant Microsoft, cherchant à le déstabiliser à tout prix. Les deux fondateurs de Google ont compris qu'ils n'avaient pas le choix, faute d'agir ainsi, faute de quoi Microsoft, aurait recours à toutes les tactiques pour éliminer cette jeune pousse.

    L'une des tactiques a consisté à débaucher ouvertement des ingénieurs de l'éditeur de Windows. En novembre 2004, Google intensifie ouvertement cette incursion dans le territoire du n°1 du logiciel en ouvrant un bureau de recrutement à Kirkland, à sept kilomètres du siège de Microsoft. En six mois, une centaine d'employés se laissent séduire. La menace est suffisante pour amener Bill Gates à rédiger un mémo intitulé 'Le défi Google' spécifiant que la start-up est devenue la cible n°1 à abattre.

    En mars 2005, la pression va toutefois monter d'un cran lorsque Kai-Fu Lee, un expert en Intelligence Artificielle est débauché. Lorsqu'il apprend ce départ, Steve Ballmer explose de colère, s'écriant :

    - Dis moi que tu ne pars pas chez ce satané Google !

    Ballmer avertit Kai-Fu Lee que si ce dernier part bel et bien chez Google, il intentera un procès pour violation de clauses de non concurrence - il mettra sa menace à exécution.

    Bus Youtube

    En octobre 2006, le phénomène qui a le vent en poupe est la vidéo en ligne. Une jeune start-up, Youtube, a conquis les internautes. Avec une centaine de millions de vidéos regardées quotidiennement, elle est devenue le n°1 du secteur.

    À l'automne 2006, Youtube est à vendre et la promise attire les convoitises des géants de l'Internet comme du secteur des médias. Parmi les prétendants figurent Microsoft, Yahoo!, MTV et News Corps. Plus les jours passent et plus il apparaît que Microsoft serait la mieux placée. On évoque une offre aux alentours du milliard de dollars.

    Le 9 octobre 2006, l'annonce du rachat de Youtube par Google apparaît comme un pied de nez supplémentaire envers Bill Gates. La somme déboursée par la société californienne, 1,65 milliards de dollars, est une surprise de taille. Page et Brin n'ont aucunement hésité à investir sans compter pour rafler la mise, conscients que le secteur de la vidéo était en train de devenir crucial sur le Web.

    Toutefois, c'est en avril 2007 que Google va accomplir son coup de maître. Jusqu'à présent, la société de Mountain View détenait un leadership indiscutable dans le secteur des adwords, c'est-à-dire, les publicités apparaissant lorsqu'un internaute tape un mot-clé.

    En ce printemps 2007, Google va s'assurer que, quoiqu'il arrive, quand bien même les internautes déserteraient un jour son moteur de recherche, sa capacité de survie demeurerait intacte.

    Sur l'ensemble du Web, la plupart des publicités apparaissent encore et toujours sous forme de bannières. Le leader mondial du domaine s'apple DoubleClick et il est à vendre.

    Là encore, Microsoft figure dans le rang des acheteurs potentiels. Bill Gates et ses acolytes ont fait une offre de 2 milliards de dollars - cette acquisition leur permettrait de reprendre du poil de la bête sur le marché publicitaire.

    Pourtant, le 14 avril 2007, un nouveau choc vient secouer l'actualité. Google absorbe DoubleClick et une fois de plus, Page, Brin et Schmidt n'ont pas lésiné sur le montant : ils ont déboursé 3,1 milliards de dollars !

    Cet événement à lui seul a changé le destin de Google. Dès ce jour d'avril 2007, Google est devenue la première agence de publicité mondiale, à même d'offrir aussi bien ses adwords que toutes sortes de bannières, vidéos ou animations publicitaires - qui peuvent apparaître sur tout type de site, sans que l'internaute sache qu'elles lui sont servies par Google. Elle est donc bel et bien devenue incontournable.

    Le temps où Microsoft apparaissait comme le grand méchant loup, vorace et dominateur est soudain révolu. C'est dans la société de Gates que l'on joue désormais la partition de l'éploré. Brad Smith, qui gère les activités légales vient tirer la sonnette d'alarme :

    " Google et DoubleClick regroupent plus de 80 % des publicités en ligne, leur combinaison a donc de grosses conséquences "

    La doctrine du fait accompli

    Lorsque le service Gmail a été lancé le 1er avril 2004, il était alors impossible de supprimer définitivement un email envoyé ou reçu. Il n'était pas venu à l'esprit de Brin et Page que certains pourraient déplorer d'avoir écrit un message sous le coup de l'émotion et ne pas souhaiter qu'il soit conservé.

    Il a fallu l'intervention d'associations de défense des citoyens comme l'Electronic Frontier Foundation et quelques pamphlets dans des quotidiens comme Wall Street Journal pour que Brin et Page consentent à moduler leur position - d'autant que l'entrée en Bourse de Google se préparait au même moment.

    Le service Google Actualités qui affiche des extraits de magazines du monde entier a pareillement été lancé sans avoir obtenu l'accord préalable des groupes de presse. En France, l'AFP a trouvé à redire à cette démarche effectuée sans la moindre permission et a entamé un procès à la fin 2005, réclamant 17,5 millions de dommages et intérêts. Deux ans plus tard, cette poursuite a été abandonnée, les deux parties ayant conclu un arrangement financier.

    Une pareille plainte avait été déposée en Belgique et le 8 septembre 2006, le tribunal de première instance de Bruxelles avait tranché en faveur des journaux, avec menace d'une pénalité d'1 million d'euros par jour si Google ne retirait pas certains articles.

    La réaction de Google a été simple mais efficace : durant plusieurs jours, les principaux quotidiens belges ont été supprimés de l'index de Google. Et oui… Le pouvoir de nuisance du moteur de recherche n°1 est suffisamment fort pour inciter bien des plaignants à modérer leur attitude. Être absent des résultats Google équivaut à un arrêt de mort.

    Google Sidney

    Une controverse s'est ensuite produite à propos de la fonction Google Street View. Il se trouve que depuis le printemps 2005, le service Google Maps propose de consulter des cartes et itinéraires de la planète entière. En mai 2007, un nouveau bouton a fait son apparition, celui de Street View, qui offre de bénéficier d'une vue à 360° de la rue.

    Pour obtenir les clichés de Street View, Google a lâché dans les rues de New York comme de San Francisco des dizaines de Chevrolet Cobalt équipées d'un mât sur lequel repose un appareil de prise de vues.

    Très vite, des problèmes liés à la protection de la vie privée sont apparus car des individus figuraient sur certaines de ces photographies et certaines pouvaient sembler compromettantes - l'un d'eux apparaissait sortant d'un sex-shop. Le tapage a été suffisant pour forcer Google à décider de 'flouter' les visages et plaques d'immatriculation.

    Aux USA, en mars 2013, 38 états américains ont gagné un procès intenté à propos de Street View et ont récupéré 7 millions de dollars au passage. Motif : durant le parcours de ses automobiles, Google avait 'involontairement' (sic) capté les données Wi-Fi des internautes des maisons environnantes. Commentaire d'un éditorialiste :

    " 7 millions de dollars ? C'est ce que Google réalise comme bénéfice en quelques heures ! "

    Android Android est un autre exemple d'établissement progressif d'une position dominante acquise en un temps record. Pour rappel, Apple a annoncé l'iPhone en janvier 2007 et cette interface alors jugée révolutionnaire, a été cruciale pour le succès immédiat de ce smartphone - lancé au début de l'été 2007.

    À cette époque, les relations étaient au beau fixe entre Apple et Google. L'alliance de ces deux sociétés apparaissait idéale pour contrer Microsoft qui demeurait encore la cible à abattre. L'un des signes de ce partenariat a été la présence sur l'iPhone des services Google Maps et Google Earth.

    Surprise : dès l'automne 2007, Google a annoncé la sortie prochaine d'un système d'exploitation pour mobile, Android, et fait savoir qu'elle avait conclu des partenariats à grande échelle avec plusieurs grands fabricants de téléphones. Les premiers prototypes dévoilaient une interface ressemblant fortement à l'iPhone !

    Google ne pouvait tout simplement pas se permettre d'être absent ou même minoritaire sur un appareil, le téléphone mobile, présent dans la poche de milliards d'usagers. Ne s'agit-il pas du support idéal pour capter des milliards de clics sur ses publicités ?

    Dès l'annonce d'Android en cet automne 2007, l'attitude de Google vis-à-vis d'Apple a changé du tout au tout. Un responsable du développement de Android s'est montré publiquement fort désobligeant envers l'iPhone et a laissé entendre que les téléphones équipés d'Android le supplanteraient rapidement !

    En apprenant l'arrivée d'Android, Steve Jobs a vu rouge, et a eu la sinistre impression de voir l'Histoire se répéter : trahi par Microsoft hier, trahi par Google aujourd'hui. Il dira plus tard dans ses mémoires qu'il se sentait prêt à entrer dans une 'guerre thermonucléaire' envers Google qu'il accusait de 'haut vol' pour ce qui est d'Android.

    La suite est connue. Apple a résisté durant de nombreuses années, mais pouvait difficilement lutter avec un éditeur qui offre gratuitement son système aux fabricants de téléphones comme Samsung, LG, HTC et autres. En 2012, Google avait déjà capturé 52,36 % du marché des téléphones mobiles.

    (...)

    Extrait du livre De Kennedy à Madonna (2017)
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