par Daniel Ichbiah
Cet article a originellement été publié en 2005 sur mon premier blog .Je l'ai remis à jour ici et là.
Un certain nombre d'internautes ou d'amis m'interpellent souvent sur le thème : "mais comment faire pour être publié" ? Le magazine Lire a même consacré un numéro spécial sur le sujet d'où il ressort que, sur les manuscrits qui parviennent à un éditeur, seul une proportion infime aboutirait à un livre en librairie.
Ayant publié plus d'une soixantaine de livres à ce jour (sans compter les rééditions enrichies comme celle de La Saga des Jeux Vidéo ou du Bill Gates), dont plusieurs best-sellers, j'ai une grande réalité sur le sujet et souhaiterais apporter mes avis en la matière. Ceci constitue mon premier billet sur la question, mais j'en publierais d'autres si la demande se fait sentir.
La chose que j'aime à dire aux auteurs en herbe, c'est qu'il faut être prêt à réécrire. Réécrire, réécrire, réécrire... Assez souvent, un ami m'adresse un manuscrit et me demande mon opinion. L'histoire est souvent intéressante, l'essai a du mérite. Mais il manque un ingrédient : reformuler tout cela à l'intention d'un lecteur que l'on doit avant tout divertir.
Il faut constamment garder à l'esprit que nous ne sommes pas seuls. L'individu qui va lire un de mes livres va choisir cela alors qu'il est sollicité par bien d'autres plaisirs : visionner l'édition spéciale version longue du Seigneur des Anneaux, essayer un nouveau jeu, aller faire un tennis, tondre la pelouse, lire le dernier roman de David Lodge, ou même farnienter toute l'après-midi... C'est avec cela que l'on est en (gentille) compétition.
Il faut donc que le roman, l'essai ou autre livre soit mis en forme, avec des phrases qui "sonnent", un découpage des chapitres qui donne envie d'aller de l'avant. La règle essentielle : éviter que l'attention retombe. Je donne souvent un manuscrit à relire à quelques proches avec cette instruction : pourrais-tu m'indiquer les endroits où tu t'ennuies ?. Et je les retravaille impitoyablement quitte à couper...
Qu'en est-il dans le réel ? Les nouveaux auteurs ont souvent une incroyable fierté vis-à-vis de ce qu'ils ont écrit. Je sais ce qu'il en est : je suis passé par là. En d'autres termes, il est facile d'être auto-persuadé que l'on a écrit une oeuvre irréprochable quitte à entonner ultérieurement le fameux refrain :
"je suis un génie méconnuuuuuu.... Sniff !"
Bref, lorsque je dis à un auteur,
"c'est pas mal, mais il faudrait que tu réécrives ceci, fasse un redécoupage de cela, etc,"
je me fais souvent jeter. Ce qui est terrible, c'est que le plus souvent, la personne a fait lire son manuscrit à deux ou trois potes qui ont "trouvé cela remarquable". C'est sans doute vrai. Mais pas forcément suffisant pour faire un produit que l'on puisse vendre en librairie et justifiant de mettre en branle l'énorme machine de guerre qu'est la vente d'un livre avec des commerciaux qui sillonnent les librairies de France pour tenter de faire placer votre livre sur les fameuses "piles" que perçoit le quidam qui entre dans l'échoppe...
S'il fallait prendre un exemple simple, ce serait celui-ci. Il est peu probable que vous puissiez faire un film à partir de séquences que vous auriez capturées telles quelles sur votre caméscope DV. Même si vous aviez un scénario extraordinaire, il faudrait consacrer des heures au montage. Couper telle scène, tailler dans telle autre, inclure une musique qui augmente l'intensité dramatique pour telle autre, enrichir les bruitages, et probablement tourner à nouveau certaines scènes en modifiant l'angle de vue, etc. En clair : pratiquer un montage. Dans le cadre d'un livre ou d'un écrit, la situation est la même.
A partir de la fin 1993, j'ai eu droit à une page mensuelle sur le "Cyber" (le terme alors à la mode pour désigner ce qui relevait de la technologie) dans le magazine branché Max. Une page apparemment perdue parmi une centaine d'autres. Un jour, le rédacteur en chef me convie et me met les points sur les "i". Ce que je lui ai remis est plat, sans envergure... La chose est simple : j'ai un jour, pas plus, pour lui sortir un papier "énorme", quelque chose qui commence déjà à le bluffer lui ! Au pied du mur, j'ai décroché dans la journée un reportage qui décoiffait. Et ainsi pu collaborer au magazine durant 5 ans. A partir de là, j'avais compris la mission : décrocher, mois après mois, des "killer" infos, quelque chose qui fait que l'on ait envie de lire cette page et d'être soufflé. Je crois que nous avons été les premiers en France à parler de thèmes tels que le "spam" et ses dangers (dès l'automne 1994 !), ou des recherches visant à identifier quelqu'un par son odeur !
A la même époque, j'ai également été fort "maltraité" par un éditeur, Vaugirard, lors de la rédaction d'un roman, "Les Banquiers du Temps", finalement publié par Le Choucas. C'est bien simple : la première copie est revenue couverte de commentaires en rouge. Non pas que l'histoire ne tenait pas la route. Mais il fallait reformuler, changer le découpage, accélérer ici, détailler là.... J'ai dû réécrire intégralement l'un des chapitres 4 fois de suite ! Si certains sont intéressés, je peux mettre en ligne certaines de ces versions, que j'ai conservées. Cet exercice a été fructueux. Si un auteur a la chance de se voir proposer cela par un éditeur, en clair "le livre a un potentiel mais il faut le réécrire", qu'il saute dessus. C'est là que cela se passe. Un éditeur a un regard. Il a pour mission de faire que le livre se vende, séduise un public... Il existe des formules éprouvées en la matière, la règle essentielle étant qu'il faut toujours maintenir l'attention émoustillée, que ce soit par l'intrigue ou par la qualité du texte.
Voilà bientôt quinze ans que je publie des livres chaque année et je me suis astreint à cette règle. Ecrire, réécrire, réécrire, bonifier... Il m'est arrivé de travailler durant une bonne demi-heure ou même une bonne heure sur deux ou trois phrases. Je me souviens particulièrement d'un passage dans le livre Rock Vibration (2003 puis éditions Kindle/iPad/Kobo/Google Play en 2012). Il fallait évoquer le fait que le batteur de REM, Bill Berry était amoureux de Kathy O'Brian, une copine du chanteur Michael Stipe. Dans le texte original, il y avait sans doute des phrases telles que "Bill Berry était amoureux de Kathy O' Brien. Amie de Michael Stipe, cette fille d'allure hippie prenait plaisir à venir écouter leurs répétitions dans l'église de Saint Mary". Les faits sans aucune couleur, ni panache. C'était mou, bien que perdu dans un paragraphe.
La forme finale a demandé un travail considérable de réécriture :
"Emmitouflée dans ses laines, Kathy O'Brien se laissait bercer par les guitares. Un chevalier servant venait parfois déposer quelques fleurs à ses pieds dénudés. Si ce Bill Berry fréquentait ainsi l'église de Saint Mary, c'est parce qu'il en pinçait pour la Kathleen…"
Cela pourrait paraître "too much", trop romanesque et imagé pour certains. Mais dans le fil de l'histoire, cela coule et participe à ce que la lecture soit une expérience agréable. Le lecteur, il faut le bichonner !
J'ai un autre exemple dans ce même chapitre, où deux phrases simples ont nécessité un long travail de recherche stylistique. Il fallait expliquer que Bill Berry avait craqué pour le jeu de basse de Mike Mills, un type qu'il n'appréciait guère dans le civil... La réécriture a finalement donné ceci :
"Berry avait alors senti son âme pivoter. Quels étaient ces parcours d'araignée sur la façade d'une basse conquise ? Et comme ils s'acoquinaient à merveille avec les hérésies que lui-même assénait sur la peau des toms et caisse claire ! "
Je pourrais citer des tas d'exemples du même type si certains le désirent. D'un bout à l'autre de ce chapitre et du livre entier figurent de tels extraits qui ont demandé un temps énorme...
Quand bien même j'ai publié autant de livres, je réécris toujours aussi intensément, et notamment lorsque l'éditeur me le demande. Dans le cas des Robots, génèse d'un peuple artificiel, lorsque j'ai remis la première mouture du chapitre sur la fiction, je me suis fait souffler dans les bronches ! Et j'ai dû réécrire le chapitre en quasi-totalité, ce qui inclut de creuser de très nombreux aspects. Il faut accepter cette règle du jeu. L'éditeur partage le même enjeu que l'auteur.
A l'autre bout de la chaîne se trouve le roi, celui que l'auteur doit servir : le LECTEUR. Tout doit être mis en oeuvre pour lui faire passer un super moment. Lecteur, nous sommes à ton service !
Dans la mesure où l'éditeur reçoit de nombreux manuscrits, il faut en premier lieu séduire CE LECTEUR. A ce niveau, il va falloir se différencier de la pile de manuscrits et les premiers critères sont assez subjectifs.
Imaginez que vous soyez un critique musical. Vous vous retrouvez devant une pile de CD à écouter, plus que vous n'en avez le temps. Quels seront les critères que vous privilégieriez : la qualité de la pochette, l'originalité du graphisme ou de la photographie, etc.
En d'autres termes, il faut en premier lieu soigner le "look" extérieur de votre manuscrit. Quelques règles simples peuvent jouer ici :
Il importe d'imprimer le livre avec un caractère d'imprimerie agréable à lire, avec un interlignage favorisant une lecture confortable. La chose est vraie même dans le cas où l'éditeur demande à recevoir le manuscrit par Email.
Faire relier un manuscrit n'est pas très coûteux et facilite la vie de l'éditeur. Vous pouvez aussi ajouter une page de titre la plus belle possible, à la fois sobre et stylée.
Lorsque le manuscrit est imprimé, il peut être utile de choisir un très beau papier, un papier qui donne envie d'être "touché".
Ce sont des petits détails tels que ceux-ci qui peuvent faire la différence et donner une chance supplémentaire à votre manuscrit, et au moins lui permettre d'être lu.
J'aime à raconter l'histoire de mon premier roman de science-fiction, XYZ, originellement publié en 1993. Je l'ai adressé à de très nombreux éditeurs. J'ai dû patienter entre deux et trois ans, avant que finalement le 22ème d'entre eux m'appelle un jour pour dire qu'il le prenait. Il est sorti chez Fleuve Noir Anticipation et dès sa sortie, pouvait être trouvé un peu partout en France (la distribution de cette édition était exemplaire et c'est un aspect qu'il faut prendre en compte pour un auteur).
L'erreur aurait consisté à abandonner en cours de route.
Bien souvent, lorsqu'un nouvel auteur me parle de son manuscrit, je lui dit :
- Est ce que tu l'as adressé à des éditeurs ?
- Oui, mais "ils" n'en ont pas voulu ?
- Tu en as adressé combien d'exemplaires ?
- Oh, 5 ou 6...
Je leur ressers alors l'histoire de XYZ, publié par le 22ème éditeur et leur explique qu'il faut juste continuer à l'envoyer à d'autres éditeurs. Cela n'empêché pas de cibler.
Le premier livre que j'ai publié, "Ne quittez pas je vous passe mon répondeur" (co-écrit avec Camille Saféris et publié en 1986) était un livre d'humour (des satyres de messages pour répondeurs). Nous étions des blancs-becs dans le métier et avons agi un peu au hasard. Nous sommes d'abord allés à la Fnac pour voir qui éditait des livres d'humour. Par la suite, nous avons appelé lesdits éditeurs. La chance a voulu qu'à ce moment, on nous réponde systématiquement : "pas cette semaine, le directeur éditorial est au Salon du Livre". Nous avons alors eu l'idée maîtresse : nous avons imprimé plusieurs copies de ce manuscrit et sommes partis avec, sillonnant le Salon du Livre à la recherche des éditeurs de livre d'humour. Nous avons alors - le sujet était très tendance pour l'époque- trouvé 3 éditeurs intéressés, le jour même.
Et bien, ce qu'il faut savoir, c'est que celui que nous avons alors choisi, Editions de l'Instant, nous a instamment demandé de bonifier ce qui avait été écrit et aussi d'écrire le double de ce que nous avions déjà écrit dans les 15 jours qui suivaient, en suivant une forme qu'il nous a donnée. Nous nous sommes alors enfermés dans un appartement afin de répondre à cette demande et avons immédiatement été soumis à cette règle de l'édition : écrire, c'est avant tout être disposé à réécrire, réécrire, réécrire !...
J'espère que ces données vous seront utiles.
Daniel Ichbiah
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Daniel Ichbiah a été deux fois n°1 du classement général des ventes.
Avec :
et n°3 avec Michael Jackson, Black or White ? (en décembre 2014)