Babak Parviz, l'inventeur des Google Glass

Extrait du livre Rebelles Numériques
Par Daniel Ichbiah

1 – Bâtisseurs du futur

Babak Parviz

Babak Parviz

Qui est donc celui qui veut nous faire regarder le monde à travers ses lentilles ? Un homme simple qui peut faire preuve d’un enthousiasme quasi juvénile dès lors qu’il est entiché par une technologie donnée. Il s’exprime sans manières et sans détours, et s’affiche très direct – une qualité qui pourrait sembler américaine mais qui selon lui, est davantage liée au fait d’avoir baigné dans la culture Iranienne.

A en croire, Babak Parviz, les Iraniens sont « des gens capables, amicaux, au bon cœur et soucieux de l’autre. » Et d’ajouter : « Quand d’autres gens sont en contact avec des Iraniens, ils réalisent qu’il en est ainsi. Hélas, jusqu’à présent, l’Iran n’a pas vraiment fait en sorte de faire connaître ces traits de caractère de son peuple ». Qu’on se le dise : Babak Parviz reconnaît qu’il est sans doute un peu biaisé dans cet avis.

Parviz semble toutefois apprécier d’être imprégné de deux cultures différentes, Iranienne et Américaine.

« Le simple fait d’être familier de plusieurs cultures et pays est en soi utile. Les deux côtés en bénéficient, de manière signification. Ce qui peut engendrer l’animosité est le manque de familiarité avec d’autres. Donc plus nous en connaissons sur l’autre et moins il y a de chances que nous prenions des mesures radicales pour lui nuire. »

Pour le reste, Parviz se déclare curieux de tout, fasciné par les possibilités du monde qui l’entoure et animé d’une constante soif d’en savoir plus.

« Je voudrais en apprendre autant qu’il m’est possible. Je suis conscient de ce qu’il existe un corps de connaissances immense que je ne possède pas. J’essaye donc de m’éduquer. »

Quel est le parcours de cet ingénieur qui est apparu sur le devant de la scène dès lors qu’il est apparu, en avril 2012, qu’il était le responsable du projet Google Glass ? Babak Parvis est né le 24 décembre 1973 à Téhéran. Il a effectué ses premières études dans son pays natal et veut croire que le système éducatif local contribuerait à la formation de riches personnalités.

« Dans la culture Perse, dès le plus jeune âge, on vous inculque d’apprécier aussi bien la science que la culture. »

Parvis dit avoir reçu une éducation très solide, très fortement poussé en ce sens par ses parents et d’autres membres de la famille.

« Mon grand-père a été une source d’inspiration majeure pour moi. Alors que j’étais en sixième, il m’a enseigné le calcul infinitésimal et m’a encouragé à m’intéresser aux circuits électronique. Jusqu’au dernier jour de ma jeune en Iran, ma famille m’a soutenu à 100 % dans mes études. »

A 21 ans, Parviz a reçu son diplôme d’ingénieur en Mathématiques et Ingénierie Electrique de l’Université Sharif de Téhéran. A présent, il en était conscient : s’il voulait aller de l’avant, il lui fallait quitter son pays natal. En cette année 1994, Parviz s’en est allé parfaire son éducation aux USA. Qu’on se le dise : Parviz n’a aucunement coupé les ponts avec sa culture d’origine. Il va prendre l’habitude de retourner chaque année en Iran pour revoir sa famille.

Une fois sur le sol américain, Parviz dit s’être senti immédiatement « à l’aise ».

« Bien que je sois un immigré, je me suis toujours senti bienvenu et respecté dans les cercles professionnels comme privés. Il me semble que, le plus souvent, les gens avec qui j’interagis me considèrent comme qui je suis, plutôt que de référer à un héritage ethnique particulier. »

Parviz estime également que la société américaine étant beaucoup plus hétérogène, est un endroit fascinant. En fait, le souci essentiel que Parviz dit avoir rencontré a été celui d’absorber les expressions locales. « Le langage est critique. J’ai eu la chance d’avoir autour de moi des gens suffisamment patients pour tolérer mon anglais alors faible. »

De fil en aiguille, Parviz a décroché une maîtrise et un doctorat d’ingénierie électrique à l’Université du Michigan. Il a ensuite effectué ses recherches post-doctorat dans la célèbre Université de Harvard - celle qui a vu Bill Gates démarrer ses hautes études mais aussi les achever prématurément pour prendre en main les destinées de Microsoft.

Parviz dira plus tard qu’il a eu la chance, tout au long de telles études, d’avoir avoir accès à des ‘top mentors’, à des laboratoires extrêmement bien équipés et aussi à une « communauté technique vibrante, inestimable. ». Toujours selon lui, l’Amérique serait encore et toujours « le pays des opportunités ». Dans la mesure où il s’agit d’une société libre, l’esprit d’entreprise et de création des citoyens est mieux à même de s’exprimer. Il s’autorise même à dire, que, en l’absence de liberté, « la vie peut être assez suffocante. »

Tout au long de ce parcours universitaire, Parviz a accumulé les distinctions, que ce soit pour ses recherches sur le génome, pour ses accomplissements divers à l’Université du Michigan ou encore pour avoir conçu un type d’avion à un seul moteur (Kharazmi Award). Autant de prix qui font ressortir son électisme.

Il est à noter que Parviz a également obtenu un diplôme en littérature britannique et qu’il en est fier.

« Je suis perse » dit-il. « La littérature est appréciée dans cette culture ».

Ce sont les écrivains américains de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème qui ont sa préférence. Il ajoute que les disciplines telles que la lecture « m’ont montré qu’il existe diverses façons d’envisager les questions et problèmes ».

A n’en point douter, cet état d’esprit sera fort apprécié, une douzaine d’années plus tard, lorsqu’il sera approché par Google…

En 2001, Babak Parviz s’est installé à Seattle et a œuvré un temps, pour un société oeuvrant dans la visualisation numérique. Puis deux ans plus tard, l’Université de Washington lui a offert un poste de professeur, une position idéale pour mener librement ses recherches. Or, le dada de Parviz, c’est déjà, la nano-technologie, le royaume des applications microscopiques.

A l’Université de Washington, les ingénieurs de l’équipe de Babak Parviz se sont mis à construire des circuits à partir de couches de métal ne mesurant que quelques nanomètres. Ils ont développé une véritable expertise en la matière. Elle leur permet de construire des appareils à la fois très petits et, selon Parviz, très utiles. De fait, une certaine approche guide ses pas, peut-être inspirée par ses lectures et la philosophie qu’il a adopté durant son périple. Il décrit donc ainsi le travail de son équipe à l’Université de Washington :

« Notre travail consiste à inventer des choses et à les fabriquer. Certains principes nous servent de guides. L’un d’eux est de savoir si nous pouvons faire quelque chose qui va aider d’autres gens. Les membres de mon groupe aiment se poser cette question : est-ce que nous pouvons faire quelque chose de cool ? »

En 2004, la National Science Foundation et aussi le magazine du M.I.T. (prestigieuse université avant-gardiste de Boston) lui décernent pareillement des prix à Babak Parviz pour ses travaux relatifs à l’assemblage de composants miniatures en vue de bâtir des appareils lilliputiens.

L’équipe de Babak Parviz a opté pour des techniques d’auto-assemblage d’éléments nanométriques, chaque composant électronique ne pouvant se placer qu’à un endroit précis de par sa propre forme et celle exacte du point d’accueil, avec l’utilisation d’un phénomène proche de la capillarité pour les amener à s’agglutiner.

« Notre inspiration vient de la nature », précise alors Parviz. « Ce qui se passe dans la nature, c’est que les parties s’auto-assemblent. D’où la question : pouvons nous concevoir des choses qui s’assemblent d’elles-mêmes ? ».

Dès cette époque, les travaux de Parviz sur la « vision bionique » commencent à sérieusement faire parler d’eux…

C’est à l’Université de Washington que Parviz a peu à peu développé un axe de recherche alors ultra original : des lentilles de Réalité Augmentée. En d’autres termes, un accessoire qui superpose des informations sur le monde réel, directement placé sur l’œil.

La Réalité Augmentée, c’est quoi au juste ? L’exemple le plus parlant est celui de Terminator 2. Dans ce film de James Cameron, le cyborg T1000 venu du futur interprété par Arnold Schwarzeneger voyait des informations s’afficher au-dessus du monde réel. Dès 1992, Terminator 2 a ainsi donné un avant-goût d’une technologie appelée à devenir de plus en plus courante.

Les premières applications pratiques de Réalité Augmentée sont apparues sur les smartphones et tablettes. Ainsi, en plaçant son iPhone ou son iPad devant un objet pré-selectionné d’une ville comme Dinard, on peut voir apparaître des informations relatives à une villa antique, à une sculpture, un château…

Toutefois, utiliser un smartphone ou autre accessoire n’est qu’une étape. Pour les ténors de la Réalité Augmentée, le nec plus ultra, ce sera des lunettes très légères ou encore des lentilles…

Dès le milieu des années 2000, l’équipe de Parviz a observé des lentilles de contact traditionnelles et ils ont alors été frappés par un fait :

« Il s’agit de structures de polymères sans sophistication particulière. Elles assurent une correction de la vision. Il demieure que la structure est simple : c’est un seul matériau. »

« Nous avons donc pensé qu’il pourrait être intéressant de les placer sur une lentille de contact et ainsi tirer une plus grande fonctionnalité d’un objet couramment utilisé par des millions de gens. »

Initialement, Parviz a avant tout pensé à une application médicale. Dans un essai qu’il a co-écrit aux alentours de 2006, il expliquait que des lentilles de contact seraient en mesure d’analyser les fluides lacrymaux « d’une manière non invasive et continuelle » à des fins de santé. Ces informations seraient transmises sans fil à un centre d’analyse médical.

Si cet axe de recherche a été suivi – comme nous le verrons par la suite, il s’est pleinement concrétisé – Parviz et ses collègues ont peu à peu envisagé d’aller plus loin et d’utiliser la lentille comme accessoire de Réalité Augmentée…

En janvier 2008, des reporters de Bloomberg / Business Week viennent à l’Université de Washington, désireux d’en savoir davantage sur les travaux de Parviz,. Ce dernier est présenté comme le responsable du projet ‘Ingénierie Electrique’.

Parviz leur explique alors que l’idée essentielle serait de disposer d’un grand écran placé directement sur l’œil – en cette année 2008, les chercheurs se demandent même si un seul œil ne pourrait pas suffire.

« Le système peut repérer où regarde l’utilisateur et ajuster en conséquence l’image affichée, affichant des informations appropriées et constamment renouvelées, sur la scène que l’on observe. »

Et de citer un exemple d’application, en matière de tourisme :

« En visitant Rome et en regardant les ruines, on pourrait observer les bâtiments tels qu’ils étaient à l’époque antique et bénéficier ainsi d’une visite guidée à la fois réelle et virtuelle. ».

Il évoque également la possibilité de voir la vitesse d’un véhicule apparaître en superposition sur le pare-brise.

Pas si vite pourtant. En 2008, si la superposition d’informations est déjà envisagée, l’ambition est alors mesurée. Parviz imagine juste qu’un pixel pourrait s’allumer si l’on est en présence d’une information potentiellement intéressante.

« Avant d’aller plus loin, il faudrait aller vers un affichage haute résolution. »

Parviz semble alors penser que ce temps serait encore loin. En réalité, il ne le sait pas encore, la technologie va avancer à pas de géants. Il est à noter que, déjà à cette époque, Parviz évoque la possibilité d’enregistrer tout ce que l’on perçoit.

Dès la fin de l’année 2008, la trouvaille de Parviz est distinguée par le site About.com comme l’une des 6 inventions notables de l’année.

Un an plus tard, Parviz me confie davantage d’informations sur ses recherches :

« Nous travaillons à convertir des lentilles de contacts en micro-systèmes fonctionnels. Pour l’heure, les lentilles de contacts sont des morceaux de polymères moulés dans une certaine forme afin de corriger la vision. En intégrant de l’électronique, de la photonique et d’autres composants à l’échelle micro et nano sur les lentilles de contact, nous espérons changer de manière fondamentale l’usage de ces objets. »

La technique d’auto-assemblage mise au point à l’Université de Washington a permis de réaliser une lentille intégrant un circuit métallique ultra miniaturisé mille fois plus fin qu’un cheveu humain avec au centre un carré d’un tiers de millimètres qui fait office d’écran.

« Afficher des informations sur une lentille n’a jamais été réalisé auparavant. Nous devons à la fois bâtir des composants extrêmement petits et des méthodes permettant de les intégrer sur une lentille de contact, de leur fournir de l’énergie, nous assurer qu’ils puissent produire une image et opérer d’une façon qui soit bio-compatible, » ajoute Parviz.

Ajoutons un capteur Wi Fi dans la lentille, une source d’énergie qui pourrait être solaire et une vers le Web et toutes sortes de données sont en mesure atterrir sur le champ de vision. Alors lors de la visite d’un musée, lorsque l’on passe devant un tableau, un commentaire apparaît à propos de l’œuvre. Dans une ville, les lentilles peuvent servir de guide et enrichir le monde extérieur d’informations précieuses : monument le plus proche, équivalent en euros du prix d’un article vu dans un magasin, traduction d’une affiche... On peut aussi imaginer une aide automatique qui s’adapte à toutes les situations selon le niveau d’assistance souhaité. En fait, toutes sortes de professions pourraient bénéficier d’un tel accessoire : « les pilotes, les conducteurs automobiles, les docteurs, les travailleurs en usine, les architectes, les conservateurs de musées sans oublier les joueurs. »

A cette époque, la National Science Foundation et un fonds spécifique de l’Université de Washington financent les recherches de l’équipe de Parviz.

Jusqu’à la fin de la décennie, Parviz s’exprime ainsi librement et paraît heureux de faire miroiter le fruit de ses travaux aux reporters qui s’adressent à lui. Et puis, à partir du milieu de l’année 2010, il se fait soudain plus discret. Il semble – une conclusion opérée par recoupements divers – qu’une société de la même ville, Seattle, se soit fortement interessée à ses travaux et que dès lors, le silence soit devenu de mise.

Au tout début de l’année 2012, Parviz ressurgit dans une actualité issue de Microsoft Research, mais de façon feutrée. Il nous est dit que le professeur Babak Parviz travaille en collaboration avec ce centre de recherche de l’éditeur de Windows, et planche surun modèle de lentilles de contact « intelligente » , qui saurait, de manière autonome, fournir la dose adéquate d’insuline à des diabétiques. Plus en filigrane, Microsoft Research évoque également un projet plus ambitieux : la lentille pourrait servir de support à la projection d’informations en Réalité Augmentée

Le coup de théâtre, pour ceux qui ont pu suivre les itinéraires de Babak Parviz se situe pourtant quelques mois plus tard. Sans transition, le 5 avril 2012, Google annonce son projet de lunettes de Réalité Augmentée. Et nous découvrons que Parviz en est devenu le responsable, opérant au sein d’une entité baptisée Google(x). Il semble en réalité que les tractations aient démarré dès 2010 mais l’on peine à croire qu’il aurait pu servir simultanément deux entreprises aussi concurrentielles...

En tout cas, ce n’est pas la première fois que Google fait ainsi un pied de nez à Microsoft, en lui soufflant ce que la société de Bill Gates convoitait. Qu’il s’agisse de Youtube en 2006 ou de Doubleclick en 2007 – alors leader mondial des panneaux publicitaires sur le Web – Microsoft avait fait des offres de rachat substantielles, et s’était fait dérober l’affaire par un Google plus généreux encore. Dans un même ordre d’idées, à partir de novembre 2004, le géant de la recherche s’est fait une spécialité de débaucher des ingénieurs clés de Microsoft. Il semble que Parviz ait été un des gros poissons de la récent pêche.

Pour mieux comprendre comment fonctionne Google depuis quelques années, il importe de savoir qu’une réorganisation majeure est survenue au printemps 2011. L’un des deux co-fondateurs, Larry Page, a assumé le rôle de PDG. L’autre, Sergey Brin est devenu en quelque sorte, le Steve Jobs maison, soit le pilote de la Recherche et Développement, une section ultra-secrète baptisée Google(x), même si certains projets comme l’automobile autonome ont été dévoilés. Le géant de la recherche travaillerait sur des concepts aussi futuristes que le réfrigérateur parlant ou l’assiette connectée à Internet. Or, très rapidement, Brin a choisi les Glasses comme projet majeur de cette maison.

En avril 2012, le projet a donc été rendu public et il est alors apparu que Babak Parviz en était le leader. Il était assiste d’un autre champion maison. Steve Lee a longtemps eu le curieux titre de ‘location manager’ (responsable de la localisation). C’est lui qui a fait en sorte qu’il soit possible d’enregistrer les moindres déplacements d’un usager – officiellement, avec son accord– sur un téléphone Android. La présence de Lee sur le bateau est donc on ne peut plus explicite. Les Glasses vont repérer où nous sommes et s’époumoner en suggestions. Un jour où il était en verve, Eric Schmidt, l’ancien PDG, s’en expliqué au Wall Street Journal, imaginant le parcours d’un citoyen se promenant dans une rue : « nous savons plus ou moins qui vous êtes, ce qui vous préoccupe, qui sont vos amis. ». Google pourra notamment dire qu’à quelques pas de là se trouve le lieu où s’est produit, au 19ème siècle, le meurtre évoqué dans le livre que vous venez de lire.

En ce jour d’avril 2012, Google dévoile une bien curieuse vidéo montrant la vie quotidienne d’un citoyen dont l’écran essentiel est devenu les Glasses. La température extérieure vient s’afficher par-dessus la vitre, avec une image conseillant de prendre un parapluie. Puis, une sonnerie discrète retentit, l’image d’un ami apparaît dans le décor pour signifier qu’il propose un rendez-vous. Tandis qu’il s’empare d’un sandwich peu ragoûtant, le porteur des Google Glasses répond ‘oui’ et dicte le lieu et l’heure où il souhaite le retrouver. Une fois dans la rue, il découvre que l’accès au métro est fermé, ce que confirment les Glasses avec un message indiquant que le service est suspendu. Comme l’accessoire est intelligent, il propose aussitôt d’afficher l’itinéraire pour se rendre au lieu convenu à pied. Et ainsi de suite…

Nous apprenons par ailleurs que les lunettes disposeront d’une connexion 3G ou 4G, d’un GPS, de divers capteurs et probablement aussi d’un Touchpad latéral (sur les branches), le pavé tactile apparaissant toutefois dans le champ de vision du porteur des lunettes. Comme on pouvait s’y attendre, elles ‘tournent’ sous Android et font appel à un grand nombre d’applications Google comme Maps ou Latitude. Le fait de prononcer un nom fait apparaître la fiche du contact en question. L’Intelligence Artificielle effectue son travail en permanence : si les lunettes détectent le bruit du moteur de la voiture du porteur de lunettes, elles en déduisent qu’il est au volant. Immédiatement, elles démarrent une application de géolocalisation et de navigation.

Cette date du 5 avril 2012 est importante car elle a marqué l’entrée officielle d’une potentielle application universelle de Réalité Augmentée dans le grand public.

Instantanément, et comme on pouvait s’y attendre, les réactions ont été fortes, Google ayant eu par le passé la réputation de faire peu de cas de la vie privée des citoyens.

Est-ce que le commun des geeks aura le désir de se montrer avec un produit intrusif que les Google Glass dans son quotidien ? Auront-elles vraiment l’effet de ‘positionning social’ qu’a eu l’iPod, que chacun était fier d’exhiber à la ceinture pour mieux montrer combien on était cool… Comment vivrons-nous la présence d’un porteur de ces lunettes dès lors qu’il apparaît qu’il enregistre notre présence en un lieu donné et que cette information va rejoindre l’un des 900 000 data centers de Google pour y être répertoriée, classée, analysée. Le porteur lui-même des Google cède volontairement une grande partie de son intimité et voudra peut-être limiter leur rayon d’action. Jusqu’où peut-on souhaiter que la Réalité Augmentée empiète sur le quotidien ? Existera-t-il un bouton permettant de désactiver l’appareil aussi simplement que sur les iPhone ?

D’autres questions concernent le risque de distraction lié au port de cet accessoire de Réalité Augmentée. Quand on porte des Google Glass au volant, quel sera leur niveau d’intrusion ? Sera-t-il limité aux informations routières et à des aides à la conduite ? Pourraient-elles faire apparaître soudainement des informations que les lunettes ont estimé cruciales pour nous (‘Prince passe à Paris. Est-ce que je réserve un ticket ?). Qu’arrivera-t-il si un conducteur déclare qu’il a été distrait par l’information affichée sur ses lunettes ?

Autant de sujets qui déjà suscitent d’ores et déjà certaines controverses d’autant que la disponibilité de l’article est proche. Au moment de l’annonce, Google évoque une offre pour le grand public courant 2014 – certains employés laissent pourtant entendre, en privé, qu’elles pourraient être disponibles dès la fin de l’année en cours. Toutefois, il est également indiqué que les lunettes seront disponibles début 2013 pour les développeurs d’applications à un prix adapté à ce public : 1 500 dollars.

Afin de calmer les esprits, plusieurs ingénieurs de l’équipe Google X acceptent de parler au magazine Wired le 29 juin 2012 et Parviz est du lot. Comme à l’accoutumée, il se montre généreux, avec un discours empreint d’idéalisme.

« Nous voulons améliorer la vie des gens dans la société, et non pas les isoler en leur amenant plus de technologie » affirme Parviz qui insiste pour voir dans les Glasses un facteur à même de rapprocher les gens entre eux.

« Nous voulons que les gens soient mieux en prise avec le monde physique », ajoute l’ingénieur. Le but est de libérer les gens des ordinateurs de bureau et des portables. Que vous oubliez que vous utilisez de la technologie. Avec les Google Glasses, vos yeux seront un peu plus ouverts à votre environnement, vos oreilles disponibles, vos mains libres... »

Steve Lee surenchérit affirmant que les activités du monde réel seront bonifiées, qu'ils'agisse d'un déjeuner à organiser ou d’une ballade à bicyclette vélo.

Pourtant, étrangement, il existe une question que le journaliste de Wired n’a pas posée et qui semble cruciale… Bien des choses portent à croire que les lunettes pourraient n’être qu’une étape dans la stratégie de Google…

Vers le milieu des années 90, un ingénieur du PARC de Xerox – un lieu mythique de la Recherche et du Développement où ont été inventés aussi bien la souris que l’interface graphique de type Mac/Windows ou l’imprimante laser – Mark Weiser avait émis une idée qui fait son chemin.

Qu’est-ce qu’une bonne technologie, selon Weiser ? Une technologie intégrée de manière si naturelle dans l’environnement de tous les jours qu’elle en vient à se faire oublier. Le volant de l’automobile que l’on manoeuvre sans y penser était cité comme un bon exemple d’outil parvenu à une forme si optimale qu’elle permet de se concentrer uniquement sur l’action à accomplir – piloter la voiture - et non sur l’objet lui-même. Pour Weiser, une technologie idéale devenait donc ‘invisible’. Et il est curieux de voir que Parviz a lui-même repris ce terme à son compte.

Il est probable que Google n’a pas souhaité lancer en premier lieu des lentilles de Réalité Augmentée. Pourtant, pourrait-on rêver d’une technologie plus invisible que celle-ci ? Il demeure que, le jour où une telle technologie sera disponible, le plus anodin des quidams pourrait disposer d’un outil auquels les espions les plus zélés n’auraient osé rêver. En effet, comme pourra-t-on savoir qu’un individu qui se trouve dans le même compartiment de train, dans le même cocktail porte des lentilles Google et qu’il est en train d’enregistrer tout ce qu’il voit et que chacune de ces images est agrémentée de ‘méta-données’ (informations décrivant ce qu’il observe) ?

Parviz s’est-il laissé aller à ses rêveries de geek ? Toujours est-il qu’en janvier 2013, il vend la mèche à Wired avec cette curieuse déclaration :

« La seule chose que font les écrans, c’est de générer un modèle sur votre rétine. Donc, si vous avez une lentille de contact qui fait la même chose, vous n’avez plus besoin de ces écrans ».

Pour les technophiles, chaque progrès potentiel semble empreint d’une indicible beauté…

Le 16 avril 2013, lors d’une conférence de presse, les Google Glasses ont officiellement été présentées au public. L’occasion d’indiquer qu’elles vont intégrer un capteur photo et vidéo de 5 mégapixels – analogue à celui d’un smartphone – et 16 Go de mémoire. Les lentilles refont leur apparition, mais uniquement sous la forme médicale évoquée plus haut, à destination des diabétiques. Une manière comme une autre d’avancer à pas feutrés vers un accessoire de Réalité Augmentée qui surpasserait les rêves les plus fous des Big Brother en herbe.

Quelques mois plus tard, au cours d’une conférence donnée par Sergey Brin en juin à San Francisco, une application surprenante a été dévoilé. Les participants ont vu voir, retransmis en direct, les images captées par des parachutites équipés des Google Glasses, qui ont atterri sur le toit de l'immeuble où avait lieu la conférence et ont rejoint la salle.

Babak Parviz est-il conscient qu’il contribue à créer l’outil ultime de surveillance généralisée ? Dans les rares interventions qu’il donne, il s’en tient à son credo humaniste et à son intention de contribuer encore et toujours à améliorer le quotidien de tout un chacun. Il apparaît pourtant que d’autres ne sont pas animés d’intentions aussi limpides et si les lentilles de Réalité Virtuelle pourraient marquer une date dans l’histoire de l’humanité, ce n’est pas forcément pour des raisons dignes d’un film de Walt Disney…

Quoiqu’il en soit, un autre coup de théâtre est survenu le 13 juillet 2014. Ce jour là, nous avons appris que Babak Parviz venait de quitter Google pour Amazon ! La nouvelle a été annoncée de façon laconique sur sa page Google+ par un logo d’Amazon précédé de cette seule mention :

Status : super excited ! ;)

En réalité, Parviz avait glissé un message avant coureur lors de l’événement sur le Wearable Computing (Informatique Vestimentaire) de San Francisco, quelques jours plus tôt, avec cette déclaration pour le moins surprenante :

« Les Google Glass ne sont pas la réponse définitive au futur de l’informatique ».

Est-ce une dissension sur la direction à suivre ou bien la danse du ventre opérée par Bezos qui a amené Parviz à changer d’avion ? Il est trop tôt pour le dire. Certains prétendent que, en humaniste déclaré, il aurait trouvé à redire aux potentielles intrusions des Glasses dans la vie privée.

En tout cas, s’il manquait un signe, un seul, comme quoi la Réalité Augmentée est l’application la plus convoitée par les seigneurs de la technologie, au moins à court terme, il est clair que nous l’avons eu ici. D’ailleurs, c’est en avril 2014 qu’Amazon a ouvert sa section Informatique Vestimentaire et par nature, Bezos aime à s’immiscer dans tout ce qui bouge, tout ce qui semble avoir un avenir prometteur. Par ailleurs, Apple, Samsung et Microsoft, pour ne citer que les plus gros, ont eux-mêmes annoncés leur intention de s’introduire vite et bien dans ce même marché de la vision augmentée. D’autres acteurs, comme la start-up française Opt-Invent se positionnent également sur ce même terrain.

La différence tient peut-être dans ce détail : si Google est prêt à tout pour orienter le consommateur vers ses publicités, Jeff Bezos – voir le chapitre qui lui est consacré – ne semble avoir qu’une obsession : servir les intérêts d’Amazon. De là à ce qu’il produise des lentilles de Réalité Augmentée en version low-cost qui sauront, à chaque visite d’un magasin de la vie réelle, rappeler qu’Amazon vend le même moins cher, il n’y a peut-être qu’un pas…



[1] Selon le site 100memories.com


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