Daniel Ichbiah. City Editions. 2006
Découvrez un extrait du livre : Brassens en 1941...
Depuis qu'il a quitté le port, il n'a pas été remplacé. Son trou dans l'eau ne s'est pas refermé. Vingt cinq ans après, coquin de sort, il manque encore.
L'oeuvre de Brassens se suffit désormais à elle-même et peut prétendre à un autre regard, plus serein et détaché. Le temps de la dégustation est annoncé. Les perles se plaisent à surnager et deviennent les ambassadrices du coffret.
Pour Brassens, comme pour de nombreux contemporains, l'exposition va être d'autant plus fort que certaines radios vont choisir de se tourner vers le passé, faute de trouver dans l'environnement immédiat de quoi assouvir la soif d'émois artistiques. La faute en incombe en premier lieu à des vendeurs d'aspirateurs et de maisons en kits soudainement reconvertis en juges de ce qui mériterait d'être désormais diffusé auprès de cette populace qu'ils méprisent. Au diable les critères artistiques, ces tristes oiseaux tirés à quatre épingles ayant fait leurs preuves dans leur capacité à imposer une nouvelle de marque de dentifrice dans les rayonnages des supermarchés, ont envahis les maisons de disques.
Les nouveaux poètes sont désormais jaugés à l'aulne de la rentabilité, de leur capacité à capturer une surface de linéaire. Pour couronner le tout, des émissions qui rappellent la Rome des amphithéâtres viennent à point nommé, associer l'état de célébrité à une forme de rêve potentiel avec des éliminatoires autorisant chacun à user et abuser d'attitudes peu honorables.
Georges Brassens n'a pas vécu suffisamment longtemps pour assister à cette mutation carnavalesque et fantomatique de la musique, jadis faite pour être chantée pour tout un chacun, aujourd'hui défigurée et conditionnée en vue d'une rapide séduction et d'une rentabilité maximale. Son œuvre n'en ressort que grandie, ayant été portée par un homme qui n'avait cure de ce cirque de l'illusoire et de l'éphémère.
Du coup, ses chansons prennent une nouvelle vie, au détour d'un passage en radio, d'une reprise, d'une adaptation. N'étant nullement soumise à la frénésie du moment, l'oreille de l'auditeur prend plaisir à réécouter, à disséquer et parfois même à découvrir ce qui n'avait jusqu'alors fait l'objet que d'une attention distraite.
Je m'suis fait tout p'tit, La supplique pour être enterré à la plage de Sète , L'auvergnat, Les copains d'abord, La mauvaise réputation… Les chansons de Brassens passent et repassent et se révèlent plus fortes, lestées du contexte de l'époque qui les a vu naître. La qualité sonore de ses albums surprend car l'ensemble est souvent fort agréable à l'oreille ; la voix maladroite apparaît chaleureuse et intimiste, la contrebasse vient ronronner dans les baffles, la guitare étonne par sa précision.
Les nouveaux représentants de la chanson d'auteur à la française se plaisent à lire et relire ces pirouettes, ces culs de sacs, dédales et constructions savantes, prenant désormais pour modèle celui qui adulait Villon ou La Fontaine. Certains s'avisent de reprendre les œuvres de Brassens et de leur donner une nouvelle actualité. Ces chansons que nous aimons tant ne lui appartiennent plus. Elles sont entrées dans la culture, elle ont intégré le patrimoine. Impérissables, elles font un pied de nez au temps.
L'éternel estivant fait du pédalo sur la plage en rêvant.
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