Extraits du livre
Les nouvelles superpuissances
Daniel Ichbiah
Editions First. 2013
‘D’où savez-vous cela ?‘
‘Je l’ai vu sur le Web !...‘
Il est courant d’entendre cette phrase et d’une certaine façon, c’est désolant. Par définition, le Web est un gigantesque fourre-tout où les informations s’accumulent sans que l’on puisse être sûr de leur véracité. La situation s’est agravée avec l’essor des réseaux sociaux à la Twitter.
En décembre 2008, un tweet a fait grand bruit. Il y était dit que le gouvernement indien avait demandé aux blogueurs de cesser de ‘tweeter’ afin de ne pas fournir d’indices sur une opération de police en cours. La digne BBC a relayé la nouvelle.
Il s’est avéré que cette information n’émanait aucunement d’un citoyen de Bombay intervenant au cœur de l’événement, mais d’un lycéen habitant dans la ville de Boston, Mark Bao, qui l’avait inventée, à partir de son intime conviction.
Depuis, bien d’autres rumeurs et bruits de couloir ont été ‘retweetés’ avec autant de frénésie que les ventes d’action par les boursicoteurs de Wall Street alarmés par une rumeur boursière.
Internet n’est pas fiable en soi. Pourtant, cette phrase, ‘je l’ai lu sur Twitter / Facebook / le Web / Wikipédia / un forum‘, chacun de nous l’a probablement entendue prononcée par des gens qui, de par leur éducation, seraient censés avoir un jugement plus affiné, plus sélectif, plus distant. Je l’ai même entendue de la bouche du rédacteur en chef d’un magazine d’informatique, comme seule preuve de ce qu’il avançait ou encore d’un chanteur français connu de tous (et à chaque fois, l’information était fausse).
Le philosophe Michel Serres m’a confié qu’avec des collègues, il s’était livré à une expérience, en plaçant sur Wikipédia une information volontairement erronée, afin de voir combien de temps s’écoulerait avant qu’elle ne soit corrigée d’elle-même.
Il a fallu environ 3 mois et demi pour que la vérité chasse le mensonge. Serres trouvait cela réjouissant, preuve que l’encyclopédie universelle s’auto-corrige sur le long terme. On peut également estimer que 3 mois et demi, c’est long car pendant ce temps, un grand nombre de sites ont pu dupliquer le contenu de Wikipédia tel qu’il était à un moment donné et la fausse information s’est ainsi propagée ailleurs.
Ayant écrit une biographie de Madonna, j’ai souvent constaté que maintes affirmations abracadabrantes circulaient sur la chanteuse. Seulement voilà : une fausse information, une fois trouvée sur Twitter, sur un forum ou ailleurs, a tendance à être reproduite, paresseusement, des centaines et centaines de fois sans être nullement confrontée aux faits. Dans le cas de Madonna, ces fausses informations ont fini par être intégrées dans bien des pages dédiées à cette artiste. Et oui… La répétition à outrance peut donner une impression fallacieuse de vérité.
‘Répétez dix mille fois un mensonge et il devient une vérité’ a dit un jour un dictateur de sinistre réputation.
Comme il se doit, le Web est devenu un terrain fertile pour les propagandistes de tous poils, ou plus simplement, ceux qui se plaisent à citer des sources sans prendre le temps de les vérifier.
Dans la mesure où chacun peut ‘nourrir’ Twitter, Facebook et autres lieux d’échanges, la vigilance devrait pourtant être de mise chaque fois qu’une information circule ainsi. L’écrivain Mark Twain avait posé pour principe - sans doute excessif - que la majorité avait toujours tort : ‘Chaque fois que vous découvrez que vous êtes du côté de la majorité, il est temps de prendre une pause et de réfléchir.’
Nous pourrions dire au moins que chaque fois qu’une information est reproduite telle quelle d’un site à un autre, il est sain de s’en méfier.
‘Martin est un escroc !’ ; ‘Le professeur de mathématiques est un pédophile’ ; ‘L’entreprise Machpro vend des produits dangereux’ ; ‘Il faut éliminer les juifs et les homosexuels’…
Assis derrière leur ordinateur, certains internautes ont pu ressentir une impression d'impunité, étant dissimulés derrière l’anonymat de leur pseudonyme. Cette situation a pu engendrer des frustrations énormes, y compris de la part de personnalités s’estimant vilipendés à tort ou à raison sur Wikipedia - voir chapitre 6.
Durant la deuxième guerre mondiale, de nombreux juifs ont été dénoncés à l’occupant par de bons citoyens anonymes. On aurait donc pu penser que l’Histoire avait fait son œuvre et que l’anonymat n’était plus considéré avec respect. Le philosophe Luc Ferry a d’ailleurs comparé la situation actuelle à celle du régime de Vichy. Pourtant, les anonymes sont parfois aujourd’hui présentés comme des défenseurs de la démocratie. C’est peut-être vrai ici ou là. De là à les présenter comme des héros, il y a sans doute une exagération.
Dans la pratique, pour celui qui s’estime attaqué injustement de façon anonyme, les recours existent, mais faute d’une évolution souhaitable de la loi, ils sont fort coûteux.
Pour information, l’anonymat que permettrait Internet est une belle illusion. Tout ordinateur, toute tablette, tout téléphone mobile, connecté se voit associé une adresse unique, dite adresse IP (une série de chiffres de la forme 192.167.1.1).
Cette adresse est conservée par des sites comme Google, Facebook, Twitter ou encore par votre fournisseur d’accès (Orange, Free…). Elle permet donc presque toujours de remonter à l’auteur de propos anonymes.
Seulement voilà, obtenir cette identité oblige à passer par un avocat et peut donc s’avérer douloureux pour le porte-monnaie.
J’en ai fait l’expérience de manière relativement bénigne en tant qu’écrivain au début de l’année 2013, ayant subi des critiques anonymes sur mes biographies musicales de la part d’une personne qui, dans la mesure où elle en profitait pour vanter son propre livre ( !), m’a semblé être un écrivain concurrent. J’ai demandé à Amazon France de me révéler l’identité de cet agresseur afin de pouvoir régler la chose directement avec lui. L’entreprise m’a opposé un refus pur et simple. Et oui… les entreprises américaines qui gèrent le Web et sont si avides de collecter des milliers d'informations sur chacun de nous se refusent par principe à communiquer l’identité de ces anonymes.
Si j’avais voulu connaître l’identité de l’agresseur, il aurait donc fallu recourir aux services d’un avocat et j’ai estimé que l’enjeu n’en valait pas la chandelle
Seulement voilà, certains internautes font l’objet d’attaques personnelles bien plus vicieuses, et ils n’ont pas forcément les moyens de s’offrir les services d’un cabinet juridique…
« La seule possibilité dont disposent les gens de lever un anonymat est sur réquisition judiciaire, » confirme l’avocat Olivier Itéanu, qui se veut rassurant. « La procédure existe. Nous avons les moyens d’agir sur tous ces gens. »
Itéanu estime tout de même que la démarche peut amener à débourser quelques centaines ou milliers d’euros, selon que l’on souhaite simplement identifier l’agresseur anonyme ou lancer une procédure à son égard. Des sommes que les entreprises peuvent aisément payer, mais pas forcément, le simple particulier à la recherche d’un emploi et desservi par des propos anonymes que Google se fait un plaisir d’exposer à la vue de tous.
Le sénateur Masson a proposé à plusieurs reprises de bannir l’anonymat sur le Net afin de
« protéger les éventuelles victimes de propos inexacts, mensongers ou diffamations qui sont, hélas, de plus en plus souvent colportés sur la Toile ».
Dans la pratique, il paraît quasi impossible techniquement et sans doute pas forcément désirable de supprimer totalement cette forme d’expression - elle pourrait empêcher la dénonciation de certains scandales par crainte de perdre un emploi ou pire.
Il demeure que le simple internaute se retrouve à la merci de potentielles attaques anonymes sans que la loi, dans son état actuel, ne lui donne de moyens simples et non coûteux de se défendre.
Direct Energie a ainsi été victime de cette pratique et devant la mauvaise volonté absolue de Google d'y faire quoi que ce soit, n'a eu pour issue que de porter plainte. La défense du géant de la recherche devant le tribunal a été symptomatique de son approche : 'nous n'y sommes pour rien !'
" Ce n'est pas Google qui suggère. La suggestion est une fonction statistique, automatique et objective du moteur de recherche, " a alors expliqué un porte-parole de Google.
Le jugement a néanmoins condamné Google France à une amende de 1 000 euros par jour, aussi longtemps que la suggestion était maintenue pour Direct Energie. Pourtant, le même porte-parole est demeuré sur sa position.
" Nous n'avons pas été condamnés sur le fond. La justice nous a uniquement ordonné de supprimer une proposition de requête. Dans d'autres affaires, les tribunaux ont rendu des jugements contraires, estimant qu'il s'agissait de la libre expression des internautes ".
En décembre 2011, la Cour d'Appel de Paris a pourtant émis un avis contraire dans une affaire de ce type, indiquant que,
" contrairement à ce que soutient Google, l'utilisateur moyen du moteur de recherche ne sait pas que Google Suggest ne propose que des requêtes tapées avant lui par d'autre, internautes classés par ordre de popularité ".
La Cour d'Appel a donc conclu qu'il s'agissait d'un réel préjudice et d'un trouble manifestement illicite et que les victimes de ce procédé pouvaient emprunter la voie d'un référé.
Google Suggest a fait bien d'autres victimes, comme Martine Aubry pour qui la mention 'alcoolique' est longtemps apparue en apposition dès lors que son nom était tapé.
Un grand nombre de personnalités de confession israélite se sont alarmées de voir le mot " juif " accolé à leur nom alors que certaines ne le souhaitaient pas particulièrement.
Cette situation a été jugée suffisamment troublante pour que plusieurs associations intentent un procès à Google France : l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), J'accuse !, Action internationale pour la justice (AIPJ), SOS Racisme et le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP).
L'avocat de SOS Racisme, Patrick Klugman, est allé jusqu'à dénoncer
"la création de ce qui est probablement le plus grand fichier juif de l'histoire ".
Ainsi donc, nous avons des internautes qui s'épanchent sans réserve sur leur vie de tous les jours, d'autres plus mesurés qui n'en distillent pas moins bien des renseignements sur eux-mêmes de manière détournée, d'autres encore dont les activités sont révélées malgré eux par leur famille ou de vagues relations. Autant le dire : il n'y a probablement jamais eu autant d'informations personnelles exposées au vu et au su de tous.
Dans de nombreux cas évoqués plus loin, il apparaît que de nombreux internautes ont subi le préjudice d'une information qu'ils avaient eux-mêmes glissée négligemment. Ils n'avaient aucunement réalisé que ce nouvel outil, le réseau social, n'est en rien sécurisé.
La réalité, c'est que les données placées sur le Web sont devenues une source d'informations primordiale pour bien des organismes publics ou privés, ou encore des relations plus ou moins proches :
Il apparaîtrait même, aux États-Unis, que 56 % des utilisateurs ont espionné au moins une fois leur conjoint par le biais des réseaux sociaux.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
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Hommages