Les Stones n'ont rien à prouver.
Voilà 50 ans qu'ils font un pied de nez aux modes, aux blanc-becs qui voudraient hâtivement les déloger ou aux vaniteux détracteurs de passage. Leurs gesticulations et fanfaronnades ne décrochent qu'un sourire amusé sur le faciès de Keith.
Qui peut se targuer d'aligner une telle brochette de morceaux mythiques : Jumpin'Jack Flash, Sympathy for the Devil, Angie, Start me up ?… Les groupes qui ont visité autant de styles différents, du reggae de Hey Negrita aux accents country de Far Away Eyes, du blues à l'ancienne de You gotta move, de la dance avec Miss You, sans oublier les ballades médiévales telles que As tears go by ne sont pas légion. Ils ont accumulé tant de morceaux, tant de trophées musicaux, tant de refrains associés à l'Histoire récente, ils se sont insinués dans les souvenirs de tant de générations qu'ils représentent davantage qu'un groupe. Ils sont une légende.
La longévité du groupe les a amené à affronter toutes sortes de situation et à les maîtriser. En octobre 1981, Prince qui ouvrait un concert pour les Stones s'est plaint de ce que deux boîtes de conserves aient été jetées sur la scène et expliqué alors qu'il ne voulait plus se produire devant un public. Jagger s'en est amusé et a juste répondu que pour sa part, il avait vu des milliers de cannettes balancées sur lui et que si Prince voulait jamais être une tête d'affiche, il devait juste se préparer à cela !
Il demeure qu'il ne suffit pas de demeurer en existence pour continuer d'avoir les faveurs du public. Il n'est pas rare, lorsque l'on se ballade dans la France profonde de découvrir qu'une des stars d'hier se produit le samedi soir dans une salle de bal quelconque et attire à lui quelques centaines de spectateurs trop heureux qu'on leur offre une distraction teintée de nostalgie. Les Stones n'ont absolument rien à voir avec cela. C'est un groupe qui inscrit encore et toujours ses albums dans le Top 5 mondial, et qui joue à guichets fermés dans des stades accueillant les fans par milliers ou dizaines de milliers.
Quelle est la recette d'une popularité toujours aussi intacte ?
En premier lieu, la présence d'un chanteur hors pair, capable d'un phrasé que l'on rencontre rarement chez les artistes blancs. Un chanteur qui saute et danse avec inventivité, avec une énergie digne d'un athlète olympique. Mick Jagger apparaît par ailleurs comme un individu clairvoyant, intellectuellement brillant, débordant de charme personnel, avec une mixture de qualités contradictoires qui forment un délicieux pot-pourri : il est à la fois ambitieux, malin, guilleret, attentionné...
L'apport de Keith est tout aussi majeur. Cet individu timide et naturellement peu porté à se mettre en avant est un amoureux transi de la musique noire, capable d'un enthousiasme juvénile vis-à-vis des musiques qu'il adore, avec une aptitude à aspirer intelligemment ce qu'il écoute pour créer des formes originales et redoutablement efficaces. Outre ses infernales qualités de compositeur, Richards a le don de concevoir et réaliser des riffs imparables, qui instantanément accrochent, happent et grisent l'auditoire. Qui plus est, le travail de duettiste qu'il effectue avec son placide compère Ron Wood est jubilatoire, pas moins.
Le travail rythmique qu'effectue le débonnaire Charlie Watts ne saurait être négligé tant il est émaillé des subtilités dont peut être capable un passionné de jazz avéré. Antithèse de ce que pourrait être une rockstar, Watts apparaît comme un individu décalé, sans compromis, tout en se montrant amène dans les rapports humains.
Réservé mais aimable, Bill Wyman, le bassiste du groupe jusqu'en 1993 complétait avec élégance le lot en apportant une ossature solide et maintes suggestions avisées. Il a été remplacé par un homme de l'ombre, Darryl Jones, qui accomplit le travail désiré avec ce qu'il faut de swing maîtrisé.
Ajoutons à cela les apports de seconds couteaux essentiels tel que le saxophoniste Bobby Keys ou les indispensables choristes et nous obtenons un spectacle à nul autre pareil. À tel point que les artifices (fumigènes, poupées gonflables et autres jeux de miroir), s'ils sont appréciables, demeurent accessoires par rapport au fait essentiel qu'est la performance musicale.
Il existe un autre élément que l'on ne saurait négliger.
Les Rolling Stones sont généralement présentés comme "le plus grand groupe de rock'n'roll du monde".
Or, un tel qualificatif est bien trop réducteur. Leur musique embrasse un territoire bien plus vaste que le simple idiome du rock… Leurs racines sont ancrées dans la musique noire, celle des bluesmen qui égrenaient leurs complaintes sur le bord du Mississipi tout en s'accompagnant d'une simple guitare, et dans les délices et saccades de la soul music de Chicago. Elles vont parfois chercher leur fièvre jusque dans les musiques tribales de l'Afrique, certains morceaux accueillant des percussions et chants dignes des gospels.
Dès les premières heures du quintette (au nombre de six avec leur pianiste), Jagger chante avec un phrasé qui évoque davantage Otis Redding qu'Elvis Presley. Lui-même dira volontiers qu'il n'a jamais supporté la musique strictement blanche ! On ne saurait être plus clair quant à ses affinités.
Dès lors que le groupe se conforme à cet idiome du blues, il est immense, authentique et distille invariablement une infernale séduction...
Les Chansons des Rolling Stones version papier
Numéro spécial de Starfan
sur les Rolling Stones
Réalisé par Daniel Ichbiah
Sorti en janvier 2010