La révolution multimédia est en marche.
Tout comme la révolution industrielle du XIXème siècle a entraîné un changement majeur dans l'organisation de nos sociétés, nous abordons un tournant crucial.
La révolution multimédia, à la différence de celle qui l'ont précédées, s'opère de façon quasi-invisible. Aux abords du XXème siècle, il était presque impossible de passer à côté d'innovations telles que le téléphone, l'avion ou le cinéma. Il s'agissait d'objets tangibles dont les atouts étaient immédiatement perceptibles de tous. Qui n'avait pas rêvé à cette époque de pouvoir communiquer avec le cousin situé de l'autre côté de l'Atlantique, se déplacer dix fois plus rapidement d'un point de la planète à un autre, ou conserver sous forme animée la trace d'oeuvres d'arts ?
La mutation qui est en train de s'opérer est d'une autre nature, car elle n'amène pas de nouveaux objets dans le paysage, tout au plus modifie-t-elle l'aspect de ceux auxquels nous avons appris à nous accoutumer. De fait, la révolution multimédia consiste pour l'essentiel à la convergence de trois grands domaines autrefois distincts :
l'audiovisuel (télévision, cinéma..)
l'informatique au sens large, ce qui inclut aussi bien les micro-ordinateurs que les consoles de jeu.
les télécommunications, qu'il s'agisse du téléphone, des transmissions par câble ou par satellite.
Il y a encore dix ans, ces domaines étaient autonomes. Aujourd'hui, ils opèrent une fusion, ou tout du moins deviennent totalement interdépendants.
Personne n'avait apparemment prévu une telle évolution - si quelqu'un veut s'amuser à peu de frais, qu'il retrouve un livre illustré consacré au monde futur publié au cours des années 70. Il y verra des ordinateurs géants alignant des rangées de boutons clignotants. Comme cela paraît kitsch aujourd'hui... Il se trouve simplement que les progrès réalisés en matière de miniaturisation et de numérique ont transcendé ce que l'on croyait alors possible en matière d'évolution technologique.
Le grand responsable de la mutation de cette fin de siècle s'appelle l'ordinateur, mais pas au sens où on l'entend habituellement. Dès le début des années 70, des sociétés telles qu'Intel ou Motorola ont commencé à intégrer dans la taille d'une boîte d'allumettes une puissance de calcul comparable à des machines qui nécessitaient une pièce entière dix ans plus tôt. Cette invention, le microprocesseur, souvent appelée "puce", a révolutionné l'ensemble des activités humaines. Il est devenu possible de coder des informations intelligentes sur un volume de plus en plus petit. C'est ainsi que l'ordinateur a pénétré de façon invisible les objets les plus courants : ascenseur, four à micro-onde, automobile... Cela va même plus loin, car certains appareils sont presque intégralement des ordinateurs, même s'ils n'en ont pas l'aspect. Des exemples : le lecteur de CD de la chaîne Hi-fi, le Minitel, le synthétiseur des musiciens de rock...
Il en est ainsi. Les puces informatiques sont partout. Elles se sont introduites dans les objets les plus divers : téléphone, caméra, télévision... Dans la mesure où l'ordinateur traite pour l'essentiel des nombres (des suites de 0 et de 1), certains parlent de révolution numérique1.
L'essentiel de l'évolution est là. Images, sons, voix, texte... Toutes les informations sont codées sous la forme de suites de 0 et 1. A partir de là, les puces peuvent entrer en action. Des dizaines de milliers de calculs s'effectuent à très grande vitesse lorsque vous prenez une photo avec un appareil numérique, le but étant bien évidemment d'amener une prise réussie. Techniquement, le terme "numérique" est donc le plus adapté à l'évolution actuelle de la civilisation. Nous lui préférerons cependant le terme "multimédia" qui évoque de façon imagée, la convergence de l'audiovisuel, de l'informatique et des télécommunications.
La transition vers la nouvelle ère de l'information se produit en ce moment même.
Le tout-numérique est en train générer un nouveau marché qui s'annonce colossal. Il représente la principale lueur d'optimisme de cette fin de siècle sur le plan économique. En avril 1993, John Sculley ex-n°1 d'Apple s'est plu à avancer un chiffre d'affaires prévisionnel mondial pour cette industrie : 3,5 trillions de dollars ! (21 000 milliards de francs). Afin de prendre la mesure de ce chiffre, notons que le marché multimédia est estimé à 8 milliards de francs pour l'année 1994. "Nos futures ressources viendront de nos esprits" commente le visionnaire Sculley.
Les Etats-Unis se préparent activement à numériser l'ensemble de leur pays. Les fameuses "autoroutes numériques" de Bill Clinton et Al Gore permettront d'arroser le Nouveau Continent de dizaines de milliers de services : éducatif, jeux, télé-conférence... Certains parlent d'un big bang de l'information qui aurait avoir autant d'impact sur l'humanité que l'invention de l'écriture ou de l'imprimerie.
Les mêmes Américains, conscients de l'enjeu, forment des alliances à très grande échelle et prennent pied sur le patrimoine européen en acquiérant les droits d'oeuvres d'art qu'ils pourront alors diffuser mondialement.
Japonais et Américains se préparent à la civilisation numérique avec l'apparition prochaine de télévisions à la carte, de consoles de jeux 64 bits2 ou l'introduction du micro-ordinateur dans les foyers.
Depuis la fin février 1994, le gouvernement français a clairement annoncé son intention de travailler à l'instauration des "autoroutes numériques" sur l'Hexagone et chargé l'ancien directeur des télécommunications Gérard Théry d'une mission de réflexion sur le sujet. A leur tour, les géants de l'audiovisuel et des télécommunications avancent leurs pions dans le grand échiquier multimédia.
Que va nous apporter la civilisation multimédia, à l'échelle individuelle, familiale ou sociale ?
la possibilité d'un libre accès à la connaissance sans avoir à se déplacer. Films, conférences, documentaires... seront demain accessibles avec la télé numérique. Chacun pourra apprécier des oeuvres d'art du patrimoine mondial sans quitter son domicile, afin de mieux les apprécier lorsqu'elles sont présentées dans sa ville. Qui ne rêverait de pouvoir admirer à volonté La Belle Romaine de Modigliani ?
une multiplication des chaînes de télévision. Le système de base n'offrait que 6 chaînes au téléspectateur français. D'ici à l'an 2.000, il en recevra plus de deux cent. Les abonnés du câble ou du satellite pourront même en capter deux à trois fois plus. La qualité des images sera très largement supérieure à celle disponible sur les postes actuels, ouvrant ainsi la voie à des projections sur grand écran mural. Comme au cinéma... (avec son Dolby et THX3 inclus !)
des outils de formation pour les enfants comme les adultes tellement conviviaux qu'apprendre devient un plaisir (CD/I, CD ROM, logiciels etc.). Nous allons passer d'une culture dans laquelle l'image interactive est amenée à l'emporter sur l'écrit. Il se trouve qu'elle facilite énormément la compréhension et la mémorisation des données. A la SNCF, l'utilisation d'un simulateur de conduite de locomotive - à base d'images de synthèse - a eu un effet sidérant sur la formation des agents de manoeuvre. Le taux de réussite aux examens est passé de 50 à près de 100%. Auparavant, une partie de cette population composée pour l'essentiel de personnes sans diplôme échouait à apprendre par le biais de cours magistraux.
Une meilleure qualité d'image et de son. Tous les possesseurs d'un lecteur de CD peuvent apprécier la finesse d'un son qui s'avère... totalement numérique. Cette qualité va se retrouver dans la plupart des appareils audio-visuels. Les téléviseurs, pour leur part, vont réduire de taille et laisser la place à de grands écrans plats offrant une image à haute définition. Ils viendront s'intégrer en douceur dans le décor du salon.
une grande facilité de communication avec n'importe qui par le biais des téléphones portables, assistants personnels et messageries. Sur les serveurs Internet ou Compuserve, il est possible de s'entretenir avec des usagers du monde entier sur des sujets aussi variés que le high-tech, les loisirs ou les vacances.
l'apparition de nouvelles formes d'art et de nouvelles techniques. Grâce aux images de synthèse et à la télécommunication, deux artistes situés à plusieurs milliers de kilomètres de distance peuvent travailler sur un même tableau ou la maquette d'une résidence. L'informatique musicale amène à explorer de nouveaux univers sonores et permet l'apparition de nouvelles formes esthétiques, telles que le New Age. Chez Medialab, filiale de Canal +, on réalise le dessin animé Chipie & Clyde en temps réel. Tandis que des marionettistes miment la scène, les personnages représentés en image de synthèse s'animent sur l'écran. A Aix-en-Provence, la production audiovisuelle Gribouille a créé un "clone" de l'acteur Richard Bohringer, mis à profit dans une adaptation de Vingt mille lieues sous les mers intégralement réalisée en images de synthèse. Ces nouvelles technologies sont génératrices d'emploi et de carrières qui s'avèrent passionnantes.
la possibilité d'expérimenter des sensations extraordinaires et pour certaines d'entre elles jusqu'alors impossibles. La réalité virtuelle va permettre à tout un chacun de visiter des cités disparues, s'habituer à sauter en delta-plane sans risque, apprendre à piloter un avion... Elle permet même d'envoyer un "clone" de soi-même dans une cité virtuelle (en image de synthèse) afin d'y rencontrer d'autres clones...
une révolution dans le travail avec la possibilité de travailler à domicile tout en demeurant en contact avec son entreprise, ou d'organiser des conférences entre plusieurs interlocuteurs situés à distance. Avec des outils beaucoup plus efficaces pour la formation du personnel et le service. Les capacités des disques optiques (laser) sont telles qu'un grand nombre d'entreprises envisagent de numériser tout ou partie du papier qui circule dans les services : formulaires, rapports, plans... Clyms Aircraft, qui a réalisé des séquences vidéo sur CD-ROM pour former ses clients à l'installation d'outils et pièces d'aéronautiques a vu les appels téléphoniques au service de la maintenance diminuer par deux. Au centre de recherche de Palo Alto (PARC), les ingénieurs de Xerox réfléchissent à un bureau du futur qui offrira les même services qu'un micro-ordinateur : calcul, mise en page... Pourtant, l'écran, le clavier et le boîtier central auront disparu. L'utilisateur écrira sur une ardoise magique qui aura la faculté de rappeler n'importe quel document déjà enregistré. Du fait de la présence discrète d'une caméra, si l'on montre du doigt un chiffre en francs sur le quotidien, la calculatrice peut le multiplier par le cours désiré. A l'université de Columbia, on expérimente des lunettes intelligentes capable d'apporter à tout moment une meilleure perception de la réalité. Si un problème survient avec la photocopieuse, le simple fait d'enfiler ces lunettes fera apparaître une flèche indiquant où se trouve la panne et le geste à effectuer pour la réparer.
une médecine plus efficace et rapide. Lors des Jeux Olympiques de Lillehammer, les images d'athlètes accidentés prises sur site ont pu être diffusées à des hôpitaux afin qu'ils puissent effectuer des diagnostics à distance. Au Water Reed Army Medical Center de Washington DC, on envisage la possibilité de prodiguer des soins à distance aux soldats. Ceux-ci, par l'intermédiaire de capteurs pourront transmettre des informations relatives à l'état du blessé. Elles seront relayées à un spécialiste capable d'indiquer quels sont les soins à apporter. On envisage même à terme de procéder à des opérations à distance, par l'intermédiaire de robots télécommandés. Les militaires songent également à la possibilité de combattre sans jamais avoir à se déplacer. Des robots ou tanks pilotés à distance feraient le sale travail, tandis que le guerrier confortablement installé dans une salle high-tech contrôlerait ces engins et verrait la scène comme s'il y était...
une meilleure conservation de notre patrimoine culturel, le numérique étant moins soumis à la dégradation que son ancêtre analogique. Quelques chefs d'oeuvres de la culture du cinéma, tels Blanche Neige, ont déjà pu retrouver leurs couleurs d'origine grâce aux traitements rendus possible par la numérisation.
la possibilité de protéger l'environnement en simulant des expériences nuisibles pour sa conservation. Ainsi, le livre blanc sur la défense publié en décembre 1993 sous la direction de Mr Rémi Galy-Dejan propose de continuer les essais nucléaires sur ordinateur. Un seul obstacle à surmonter : mettre à disposition des machines cinquante fois plus puissantes que les plus gros calculateurs actuels. L'enjeu en vaut la chandelle.
Et mille autres possibilités que nous n'arrivons pas encore à imaginer tant le champ d'application du numérique et du multimédia s'avère illimité.
Bienvenue dans le nouveau monde. Il est esthétique, amusant, enthousiasmant. Attachez vos ceintures ! Le grand voyage vers l'univers du multimédia ne fait que commencer.